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Thibault DUBREUIL, ancien professeur d’Histoire-Géographie est le premier intervenant sur TRIBUNE APRES PROF


Thibault DUBREUIL avait témoigné de sa reconversion pour AIDE AUX PROFS et tu retrouveras en fin d'article son interview.

 

Il nous a adressé son long argumentaire qui a été relu attentivement, notre modération retirant tout terme qui pourrait heurter la sensibilité de certains lecteurs. 

 

Si toi aussi, libéré(e) de ton droit de réserve depuis ta démission, tu veux t'exprimer sur ce site de l'association AIDE AUX PROFS, sur ce que tu as vécu, qui explique pourquoi tu es parti(e) définitivement de l'Education nationale, tu peux nous contacter via notre fil Linkedin et nous échangerons avec toi dans cette perspective.

 

 

 

Professeur, c’est une mission au service des autres

 

Pour tous les enseignants, ceux qui sont en retraite, qui ont démissionné ou qui exercent encore, cette profession n’est pas un travail ordinaire. C’est une mission. Les profs sont animés par une éthique de service public et par la volonté de se mettre au service des autres. Chaque prof justifie sa présence dans une salle de classe par la passion d’enseigner et chaque jour, il se lève avec comme seul objectif l’émancipation des jeunes générations, leur permettre de penser par elles-mêmes, les instruire de culture littéraire, sportive, scientifique, technologique, artistique… Et cela, sans aucune forme d’intérêt personnel.

 

Professeur, un métier victime de politiques néo-libérales successives dévastatrices

 

Mais depuis quelques années, les enseignants constatent chaque jour que l’école a perdu sa boussole. Ou plutôt que la boussole semble avoir changé de mains. Malgré les éléments de langage se voulant rassurant de la part d’économistes, de politiques et de chroniqueurs, il apparait que le néolibéralisme s'est bel et bien installé dans l’école en modifiant en profondeur son fonctionnement et ses objectifs. Un peu comme le réchauffement climatique, celui-ci était annoncé de longue date mais bien peu y ont cru.

 

Depuis la signature du Processus de BOLOGNE en 1998, et de tous les traités qui ont suivi, la mission émancipatrice et culturelle de l’école est venue progressivement au second plan, laissant place à un nouvel objectif : l’école doit s’adapter à la mondialisation en répondant à la demande du marché.

 

Chaque enseignant a pu constater que des méthodes venues du privé tentent de s’appliquer dans son quotidien :

-         - salaire au mérite,

-         - contrôle de plus en plus pressant de son travail et des résultats,

-         -  mise en concurrence et classement des établissements,

-         - rôle accru des chefs d’établissement dans le recrutement et le salaire,

-         - mise en place de hiérarchies entre enseignants,

-         - badges numériques…

 

Un vocabulaire spécifique s'est diffusé dans les textes officiels et il est clairement de culture néolibérale :

=compétences ; plus-value pédagogique ; mutualisation des moyens ; compétition ; gestion de classe ; pilotage par objectifs ; productivité des enseignants … allié à des expressions issues de la novlangue : agilité pédagogique ; rétention des talents ; fédérer les énergies…et d’autres à visées nationalistes : port de l’uniforme, montée du drapeau.

 

Dans les textes, les personnels administratifs sont parfois appelés des « collaborateurs », et dans les plans développés par le gouvernement, les chefs d’établissements doivent devenir à terme des « managers ».

 

Pour enclencher ce changement de paradigme, l’Etat a joué sur trois leviers.

 

Premier levier, Il s’est financièrement désengagé :

 

- passage des personnels ATOS aux collectivités territoriales,

- suppression massive de postes de COP,

- gel des salaires pendant plus de 10 ans et suppression des avantages de la profession,

- suppression des TPE au lycée, seule concession à l’innovation pédagogique,

- volonté de faire passer la médecine scolaire aux collectivités et les LP au patronat local,

- prochaine suppression du Capes qui sera accompagnée des concours PE et PLP,

- suppression des Rased,

- chaque réforme se fait à budget constant, le ministère déshabillant Paul pour habiller Jacques,

- suppression massive de postes aux concours anticipant largement la baisse démographique,

- multiples réformes en collège et lycée qui, associées à la suppression des classes d’accueil pour élèves à besoins particuliers et à la suppression de postes, permet d'augmenter les effectifs dans les classes,

- suppression de certaines formations,

- suppression des petits LP,

- embauche exponentielle de CDD,

- mise sur la sellette de certaines matières, comme la technologie qui a déjà disparu en 6e,

- volonté de regrouper écoles et collèges pour économiser encore,

- sous peu, mise en place de l’annualisation du temps de travail des enseignants… et de leur rémunération variable avec le Pacte.

 

Second levier, Il s’est progressivement désengagé idéologiquement :

 

L’Etat s’est éloigné de l’esprit des Lumières et de l'école Jules FERRY. Il a pour mission d’assurer l’égalité des chances et la connaissance pour tous. Pourtant, jamais les inégalités scolaires n’ont été aussi criantes dans notre pays.

 

L’Etat diffuse sans cesse l’idée que chacun décide seul de sa scolarité et est responsable de son avenir, « En abondant son portefeuille de compétences », comme il est dit dans le Processus de BOLOGNE. Nicolas SARKOZY affirmait, il y a quelques années, que chaque parent pourrait choisir l’école de son enfant, supprimant ainsi une carte scolaire, certes imparfaite, mais qui aurait pu être réformée. On voit aussi : la mise en concurrence des établissements public-public et public-privé, la délégation de responsabilité à des échelons inférieurs comme le recrutement direct d’enseignants par des chefs d’établissement, ce qui, de fait, rend caduque la grille des traitements, la mise en valeur du privé sous contrat toujours désigné comme exemple, la mise en avant du startupper, idéal de vie, et l’enseignement de l’esprit d’entreprise dès le Primaire, la sélection de plus en plus précoce des élèves pour les orienter vers le marché local, la délégation du recrutement des remplaçants à une entreprise privée, Andjaro, qui officie à la place des rectorats dans plusieurs départements. A terme, on assistera à la délégation de la rédaction des programmes scolaires. Et l'Etat renverra à des niveaux inférieurs : parents, groupements d'intérêts, entreprises, associations... le soin de promouvoir et de défendre les valeurs qui sont de sa responsabilité : celles de la République et de la démocratie.

 

L'Etat prétend être à l'écoute des remontées locales mais ces deux changements se font de manière brutale dans la verticalité. C'est ce qu'il appelle le « new public management » ; et que les spécialistes de l'éducation désignent par l’expression « caporalisation des enseignants ».

 

Pour le dernier levier, plus pernicieux, l’Etat a pris son temps :

 

Il a d’abord, en 1986, déconnecté le point d’indice de l’inflation avant de, finalement, geler les traitements pendant plus d’une décennie. Puis il a dégelé le point d’indice mais largement en dessous de l’inflation.

 

En parallèle, il a fait passer le recrutement de Bac +3 à Bac +5 afin de mettre la profession d’enseignant en concurrence avec les autres Bac +5 (ingénieurs, pharmaciens...) pour nuire à son image et ainsi tarir la source des recrutements.

 

En paupérisant les profs, en faisant de leur métier une profession de smicards, il les a disqualifiés aux yeux de la population et a terni leur prestige de manière irrémédiable. Pour les décrédibiliser définitivement, il a créé le stéréotype de l’enseignant « feignasse, râleur, bourré de privilèges, gréviculteur et toujours en maladie ».

 

Largement répétées par des ministres de droite comme de gauche depuis 1995, relayées par une partie de la presse et amplifiées par les réseaux sociaux, ces assertions qui ne correspondent en rien aux rapports parlementaires, aux études de l’OCDE, ni même à ce que dit le ministère, ont fait des ravages. Une bonne partie de la population en est aujourd’hui convaincue… ce qui légitime l’Etat dans la poursuite de son démontage du métier. C’est ce qu’on appelle « la politique du consentement ». Et ceux qui consentent le plus à ce casse-pipe sont souvent ceux qui ont le plus besoin d’un service public d’éducation de qualité.

 

L'Insee quant à lui, a retraduit ces bouleversements dans ses colonnes : les enseignants du secondaire, autrefois classés dans la catégorie « Professions libérales - Cadres supérieurs », sont descendus dans la catégorie « Cadres moyens » et les PE sont passés avec les « employés ».

 

Une décadence progressive de la profession enseignante, de ALLEGRE (1997-2000) à BLANQUER (2017-2022)

 

Alors, aujourd’hui que j’ai quitté l’EN, cela fera 6 ans en septembre, je me demande comment s’en sortent mes ex-collègues. Comment peuvent-ils encore y croire alors que la revalorisation, l’amélioration des conditions de travail, la reconsidération du métier, n’ont jamais dépassé le stade de l’effet d’annonce ?

 

Je pense à Gérald DARMANIN qui toujours soutient ses flics et je mets en parallèle les déclarations des ministres de l’EN qui sont d'une remarquable continuité : Xavier DARCOS et les instits qui sont là pour « changer les couches » ; Claude ALLEGRE et les « professeurs absentéistes » ; Jean-Michel BLANQUER qui abandonna ses profs pendant les confinements et qui, lorsqu’il revint dans les médias, s’en pris à ceux qui n’étaient pas à leur poste pendant la crise du Covid. Il voulait des chiffres, exigeait des noms et dans la foulée, redonna 600 millions d’euros de son budget à Bercy. Najat VALLAUD-BELKACEM, qui ne put s’empêcher de rire quand une journaliste évoqua le salaire des enseignants ; Luc CHATEL et ses plans marketing ; Benoit HAMON, qui déclara sa flamme aux enseignants, et ne fit même pas une rentrée ; Luc FERRY qui déclara mettre ses enfants dans le privé car dans le public, on les aurait frappés.

 

 

La presse nous apprend que DARCOS et BLANQUER bossent aujourd’hui pour des multinationales qui montent des écoles privées, c’est dire comme ils étaient attachés à l’école de la République. Aucun d’entre eux n’a jamais protesté contre le prof bashing sur les réseaux sociaux. Pourtant, jamais une profession n’a été attaquée de la sorte.

 

 

Et ce hiatus entre les grandes déclarations à destination des parents et des médias et la réalité du métier :

 

-          des réformes incessantes, jamais évaluées ;

-          - un mépris affiché pour l’expertise des profs tout en affirmant le contraire ;

-          - une médecine du travail restée à l’état embryonnaire ;

-          - un classement PISA qui ne déclenche que des haussements d’épaules ;

-          - un bourrage d’élèves dans les classes afin d’augmenter le travail invisible des enseignants, celui que l’Etat ne paye pas ;

-          - des statistiques, des tableaux à remplir régulièrement pour ficher, classer, contrôler ;

-          - une augmentation de la charge de travail administrative non rémunérée ;

-          - une volonté d’annualiser le temps de travail qui fera que, si un enseignant est convoqué pour des examens, il devra rattraper ses heures de cours ;

-          - des déplacements que l’Etat ne rembourse plus ;

-          - un recul de l’âge de la retraite conséquent ;

-          - une cotisation retraite alignée sur celle du privé ;

-          - la suppression de la CPA  en 2010 que la réforme de 2023 vient juste de réintroduire avec certaines restrictions: il faut avoir été à temps partiel l'année précédant la demande pour en bénéficier ;

-          - la suppression de la retraite au bout 15 ans et 3 enfants pour les femmes, ce qui offrait la possibilité d’une seconde carrière ;

-          - la suppression de la carence prise en charge par l'Etat ;

-          - une perte de pouvoir d’achat d’environ 20% depuis l’an 2000, 35% depuis 1980 ;

-         - un déclassement qui fit même titrer au Figaro « La dramatique prolétarisation des enseignants »;

-          - une déconsidération pour ce métier que fuit les meilleurs étudiants et même les autres ;

-          - des rectorats qui en sont réduits à refuser 80% des demandes de rupture conventionnelle de peur de manquer de profs et qui embauchent le premier venu à bac 3, 2, 1 ;

-          - des burnouts, des suicides, des arrêts maladie dont l’Etat se fiche, avec un syndicat qui parla même en son temps de « maltraitance institutionnelle ».

 

La tête que fit ma belle-soeur quand elle découvrit que je n’étais pas payé durant les récrés ! Elle, qui fit toute sa carrière comme secrétaire dans une concession automobile, était rémunérée pendant ses pauses café - clope.

 

Et ce système néolibéral qui tend à atomiser la société pour n’en faire qu’une somme d’individus aujourd’hui convaincus que « je » prime « nous ». Dans ce changement en profondeur de logiciel, chacun croit exister de plus en plus dans la satisfaction immédiate de ses besoins personnels. Belle humanité puérile qui pense que tout est consommation.

 

De plus en plus de parents d’élèves pensent ainsi être devenus des clients.

 

Et voilà ce professeur de collège molesté par un père car il a collé son fils, insolent ; une de mes collègues, intimidée par un parent sur le parking du lycée qui lui intime l'ordre de ne pas appliquer une réforme d'éducation civique ; ce PE convoquant la mère d’un élève infernael en classe qui lui réplique, sans rire, que son fils a besoin de « légitimer son enseignant » ; cette influenceuse qui se filme et diffuse son propos acerbe sur le PE de son fils ; tel autre sera menacé car il a parlé de la laïcité ou de l’islam, son collègue préférera se taire ; celui-ci sera contesté car il enseigne que l’Homme a marché sur la Lune ; à celle-là, on va crever les pneus de sa voiture pour une remarque et tellement, tellement d’autres faits jusqu’au drame vécu par Samuel PATY. Avec en toile de fond, ces milliers de commentaires sur les réseaux sociaux où certains, toujours anonymes, vomissent leur haine des profs, tandis que d’autres prétendent leur expliquer comment faire leur métier.

 

Le professeur : Super Résistant ?

 

Et pourtant, même couverts de crachats, les profs sont toujours là. Cheveux au vent sur la barricade de l’égalité des chances, tenant ferme la culture et l’émancipation dans chaque main, ne renonçant à rien, y croyant toujours, au milieu des quolibets, alors que le général a déserté depuis longtemps.

 

Ce midi, il déjeune avec des types de chez Mc KINSEY. Les commandants successifs, tous plus médiocres les uns que les autres, jouent contre leur camp. Le regard méprisant, ils sont venus pour casser et sont repartis rapidement. Restent les adjudants-chefs, un peu perdus entre le marteau et l’enclume, mais certains ont saisi l’opportunité de faire carrière sur ce champ de ruines.

 

Ce que font les enseignants n’intéresse pas l’Etat, leurs conditions de travail et leur santé non plus.

 

Mais en tant qu’objet comptable, là c’est différent. Et voilà le président de la Cour des Comptes qui convoque le ministre Pap NDIAYE pour lui rappeler que son ministère doit baisser son budget : « Il faut faire des économies ! Vous comprenez… ? La dette de la France ! » Et peu importe que le budget de l’EN soit de la masse salariale et qu’en 30 ans sa part en pourcentage du PIB ait baissé d'un point.

 

Et le président de la Cour des Comptes est socialiste… Et le ministre fidèle à lui-même reste muet.

En parallèle et dans la plus grande discrétion, le budget invisible « Aides, subventions et exonérations aux entreprises », qui ne dépend d’aucun ministère, a triplé en 20 ans atteignant la somme faramineuse de 190 milliards d’euros par an. L’Etat verse des sommes conséquentes à des entreprises sans même réclamer le ticket de caisse, c'est le principe des vases communicants. Certains, mal intentionnés (comme moi), parleraient presque de siphonnage d'argent public.

 

Le marché du privé sera-t-il le fossoyeur de l’Education nationale ?

 

L’Etat se défausse de pans entiers de l’école qu’il espère fourguer au marché, ce marché si influent et qui l’a convaincu qu’il était mieux à même de répondre aux défis de notre époque et qui, pour aller plus vite, a même infiltré les gouvernements. Les GAFAM contre le dérèglement climatique ! Même si les patronats locaux n’en sont guère convaincus, préférant embaucher des élèves titulaires d’un Bac Pro plutôt que d’avoir à les former eux-mêmes, des entreprises privées, bien plus grosses et internationalisées ont commencé, elles, à développer leur business.

 

Galileo Global Education, une boite US gérée par des fonds de pension, a flairé la bonne occase en rachetant des écoles et en ouvrant des universités privées. Elle scolarise 200.000 élèves dans le monde dont la moitié… en France.

 

PARCOURSUP fait le tri, il a été conçu pour ça et il est suivi par les banques qui peaufinent des prêts étudiants. Au nom de l’égalité, GGE a négocié avec l’Etat qu’il paye les droits d’inscription de ses étudiants… Xavier NIEL, spécialiste en investissement juteux, parle d'ailleurs de « financiarisation de l’éducation », on ne saurait mieux dire.

 

Et on souhaite une bonne reconversion à Charline AVENEL qui quitte son poste de rectrice de l’académie de VERSAILLES pour diriger IONIS, une boite privée d’enseignement qui compte 35.000 étudiants. Elle qui fut copine de promo d’Emmanuel MACRON n’a pas la reconnaissance du ventre car c’est bien l’Etat qui a payé ses études à l’ENA.

 

Mais comment les professeurs gardent-ils la foi en leur métier ?

 

Alors je me demande comment font les profs pour entrer en classe chaque matin avec la même motivation. Ou plutôt, quitte à être iconoclaste, je me pose la question de savoir s’il ne faudrait pas répondre à l’Etat comme il leur parle, plutôt que de tendre l’autre joue.

 

Malgré les grèves, les manifs, les pétitions, les protestations, les enseignants n’ont rien obtenu.

 

Pire encore, ils n’ont fait que perdre. Juste qu’à ce dernier affront venant du ministère que l’on pourrait résumer ainsi : « Votre pouvoir d’achat a baissé, bien fait pour vous ! Mais nous sommes sympas, on vous propose le Pacte pour en récupérer une partie ». Et d’annoncer que le Pacte est une « revalorisation historique ». Et de constater que les heures sup du Pacte sont moins bien rémunérées que les anciennes HSE. Et de lire cet économiste qui explique la baisse du pouvoir d'achat des enseignants par le fait que leur productivité n'a pas augmenté.

 

Depuis la mise en place des 35 heures, dont seuls les enseignants furent exclus, leur temps de travail est sujet à caution, et à discussion. Et peu importe que le PE vienne 30 mn avant dans sa salle de classe le matin et en sorte 15 mn après la sonnerie du soir sans être payé, il est suspect. Et cette prof d’anglais en collège qui va organiser un voyage à Londres de A à Z et travaillera 40 heures sur place en 3 jours + 2 nuits à dormir pliée dans un car, elle sera payée 18 heures et rien de plus. Comme le prof de français du lycée qui fera des oraux blancs de manière bénévole, cédant à son chef d’établissement : « C’est dans l’intérêt des élèves et puis… les parents ne comprendraient pas. »

 

Il y a 15 ans, la carence payée par l'Etat fut supprimée. Derrière le cache-sexe d’une prétendue égalité avec le privé, on voyait bien le soupçon du prof feignasse qui préfère aller faire les soldes plutôt que de faire cours, apparaître en filigrane. Et on allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu.

 

Les chiffres des absences des profs sont restés les mêmes, vu qu’ils sont faibles dans l’ensemble, en-dessous de la moyenne des entreprises privées. Mais que le département 93 explose tous les records n’a toujours pas questionné l’Etat. Ségolène ROYAL réclamait d’ailleurs que les profs restent dans leur établissement « 35 heures par semaine ». On avait oublié de lui dire que l’Etat faisait des économies substantielles en ne fournissant ni bureau, ni matériel.

 

48% des professeurs se déclarent en souffrance au travail, avec 62 médecins du travail pour 867.000 professeurs.

 

A quoi cela sert-il de s’épuiser encore et encore ? L’immense majorité des enseignants dit aimer son travail mais 48% d’entre eux se déclarent en souffrance. Pourquoi ne pas abonder dans le sens de l’Etat qui ne voit en eux qu’un coût, une charge et qui n’aspire qu’à l’embauche de CDD au SMIC ou mieux encore d’auto-entrepreneurs ? Avec comme horizon radieux une école riante de type nord-américain où le turn-over est de 50% tous les 3 ans, histoire de verser toujours le même salaire.

 

L’Etat pense que le métier d’enseignant peut être exercé par n’importe qui, qu’il n’est qu’un job d’entrée dans le monde du travail, un taf qu’on fait quand on arrive en fin de droits, en attendant de trouver mieux, ce qui ne sera pas très compliqué. Il se prépare à l’ouverture d’écoles privées à 20.000 euros l’année pour son élite, qui toujours pourra payer. Pour les autres, il suffira de « traverser la rue ». « Et ça embauche dans la sécurité », comme le déclarait, il y a peu, Geoffroy Roux DE BEZIEUX, dont les enfants ont fait une prépa, l’ESSEC, Polytechnique et BERKELEY. Bosser dans la sécurité, je l'ai fait quand j'étais étudiant. Comme Geoffroy Roux DE BEZIEUX, je ne l'ai pas conseillé à mes enfants. Bosser dans la sécurité, c'est super ! Mais... pour les enfants des autres.

 

Quel devrait être le salaire des enseignants français pour les respecter à leur juste valeur ?

 

Dans un monde idéal, un enseignant devrait commencer à 2500 euros nets et finir à 6000 euros nets.

Un ami de mon fils ainé, jeune PE berlinois de 3 ans d’expérience perçoit 4000 euros nets. « Mais c’est normal, les profs allemands travaillent plus ! » Plus de deux fois plus…? Vraiment…? Ils ont des semaines à 100 heures en Allemagne ? « Et ils sont bivalents ! » Moi, j’enseignais l’histoire, la géographie et l’éducation civique et les enseignants en LP sont bivalents.

 

Et puis ce commentaire trouvé sur un forum : « Les profs français n’ont pas à réclamer quoique ce soit, vu leurs résultats ! » Monde étrange où on inverse la cause et l’effet. En Allemagne, le « PISA schock » de l’an 2000 a entraîné une refonte de la formation et des hausses de salaire. Il s'agissait de recruter les meilleurs étudiants, les plus motivés et les payer en conséquence. Avant 1914, les profs allemands gagnaient déjà plus que les profs français et l’Allemagne connait aussi des problèmes de recrutement. Dans un monde idéal, AIDE AUX PROFS n’existerait pas et j’aurais poursuivi ma carrière dans mon lycée rural en Bretagne.

 

Dans un monde idéal, je n’aurais pas appris ce fait hallucinant : une femme de 42 ans qui, après une carrière dans l’hospitalière puis quelques CDD, décide de se reconvertir. Inscrite à Pôle Emploi, son conseiller lui impose un « job dating de prof ».

 

Pourquoi continuer à se battre quand tout semble perdu d’avance dans cette destruction néo-libérale ?

 

Alors pourquoi continuer à se battre quand la raison même du combat a disparu ou s’est tellement pervertie qu’on ne reconnait plus rien et qu’ouvertement on se moque de vous. Emmanuel MACRON à un congrès de chefs d’entreprise : « Je sais bien qu’il manque 1000 euros sur la fiche de paye des profs… Mais bon… C’est votre argent ! » Et tout ce petit monde de se gondoler en se tapant sur le ventre.

 

Pourquoi tant d’implication, d’arrivées en avance, de sorties tardives, de réunions jamais payées, de rencontres, d’auto-formations jamais prises en compte, de projets, de sorties, de lectures, de remises en question, de réflexions, de visites, de conférences, de refontes de cours, d'adaptations continuelles alors qu’en fait, il suffirait de faire son travail, juste son travail.

 

Moi qui fus enseignant FREINET, j’apprends que le ministère va valoriser l’innovation pédagogique mais… uniquement dans le cadre du Pacte. Pourquoi continuer à ramer comme un forcené dans un navire où le capitaine déchire les voiles et fait volontairement des trous dans la coque, puis accuse les marins de tous les problèmes de navigation ?

 

Faire du métier de prof un travail alimentaire. Venir, faire cours, repartir et tout refuser.

 

Vu les dégâts actuels sur le pouvoir d’achat et l’absence de carrière, que risque-t-on vraiment ? Et à côté, développer un projet, le sien propre, les enseignants sont convaincus qu’ils ne sont pas capables de faire autre chose et l’Etat leur répète chaque jour qu’ils sont mauvais.

 

Mais c’est faux ! Mettre en place un projet qui a du sens, le développer pour soi, pour s’épanouir vraiment et si possible en faire un second revenu. L’Etat ne jure que par la libre concurrence, mais si vous ouvrez une micro-entreprise de cours de soutien en maths, il vous l’interdit. Soit.

 

Une micro c’est un nom, une adresse postale et un compte bancaire. Et vous avez bien une conjointe, un mari, un ami, une frangine, un parent qui acceptera de le faire pour vous. Bientôt gagner 300 euros nets par mois puis 500, 800, et diminuer son temps de travail, passer bientôt à mi-temps, faire de son boulot de prof une annexe, un levier secondaire, un complément de revenus, comme d’autres bossent au noir le samedi.

 

Cesser de subir, de souffrir, prendre le large d’un métier qui rend malade bon nombre de ses agents. En espérant, qui sait, un gauchisme forcené qui gagnerait les élections en 2027 ou 2032 mais faut pas rêver. François HOLLANDE ne fut qu’un clone affadi de Nicolas SARKOZY et il déroula le tapis rouge à Emmanuel MACRON.

 

Un nouveau ministre poursuivant la même politique néo-libérale… qu’y a-t-il à espérer ?

 

A l’heure où j’écrivais ces lignes, la presse parlait d’Edouard PHILIPPE pour remplacer Pap NDIAYE. Les enseignants risquent rapidement de regretter Jean-Michel BLANQUER. Ne trouvant plus rien à casser, il veut s’attaquer aux grandes vacances, source de discrimination entre les élèves. Encore une façade, un masque, l’Etat s’accommode très bien de ces inégalités scolaires, à partir du moment où il a son élite, qui renouvelle la précédente, venant toujours des mêmes quartiers, se fréquentant depuis la petite section jusqu’à ces lycées qui ont fait sécession et où jamais on ne manque de rien et dans lesquels l'Etat dépense tellement plus pour ceux qui ont plus.

 

Et puis Gabriel ATTAL a été nommé. Il a dit vouloir imprimer sa marque. Comme on marque le bétail sans doute. Ce bébé Macron ambitieux et pressé sera des plus fidèles, n’en doutons pas.

 

En France, une heure de cours dans le secondaire fait administrativement 55 mn. Mais l’enseignant est payé 1 heure. En grattant les 5 mn, l’Etat peut imposer une heure de travail gratuit aux profs par semaine. Je vais proposer cette idée à Gabriel ATTAL. Et vous auriez tort de croire que je blague.

 

 

Le 9 août 2023

 

PARCOURS DE CARRIERE DE THIBAULT DUBREUIL 

 

En 2023-2024, pense à rejoindre AIDE AUX PROFS sur Linkedin, si tu souhaites évoluer vers un détachement dans l'une des 3 Fonctions Publiques, hors enseignement, pour ne plus souffrir d'enseigner.

 


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