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Jean-Claude, d'instituteur à de multiples étapes professionnelles


Jean-Claude, d'instituteur à de multiples activités parallèles, et une carrière passionnante:

 

Jean-Claude, enseignant à la retraite nous a fait partager son parcours professionnel hors du commun au sein de l’Education nationale, où il a exercé de multiples fonctions, sur un grand nombre d’affectations, en France et à l’étranger.

 

Quel a été votre itinéraire professionnel, depuis votre entrée dans l’Education nationale ?

 

Jean-Claude est entré en 1962 dans l’Education nationale par vocation, juste après son Bac, en devenant instituteur dans la banlieue de Lille de 1963 à 1965. Il réalise ensuite son service militaire en coopération en enseignant dans un collège de Côte-d’Ivoire pendant deux ans, obtenant un détachement de deux années supplémentaires via le ministère des affaires étrangères (MAE : les postes à pourvoir sont publiés à chaque rentrée scolaire au BOEN).

 

En 1969, le retour en France est dur, vécu comme un grand choc, car après avoir enseigné à des élèves de 12 à 20 ans, Jean-Claude est affecté en Primaire avec des CM1, puisque l’Education nationale, quand un enseignant revient de détachement, ne sait pas utiliser les compétences acquises par les individus qui la composent, alors que toute entreprise consciente de cette richesse humaine le saurait.

 

Jean-Claude, nostalgique du collège, décide de passer le concours de PEGC, qu’il obtient en juin 1970, et effectue un remplacement à La Madeleine près de Lille. De 1970 à 1975, il connaîtra deux postes dans la banlieue de Lille.

 

En 1975, après avoir acheté une maison à restaurer dans les Flandres, il y obtient sa mutation, et y reste jusqu’en 1982. A cette date, ses souvenirs de la Côte-d’Ivoire le tenaillent et il réalise des demandes de mutation tous azimuts grâce aux informations parues dans les BOEN : MAE, ministère de la Coopération, territoires d’Outre-Mer (TOM), dans ses disciplines d’enseignement (Français et Histoire-géographie, soit une trivalence, puisque l’histoire-géographie est déjà en soi une bivalence, non reconnue en tant que telle par l’Education nationale).

 

Entre un poste au Maroc obtenu par la MAE, un poste à Madagascar proposé en coopération, et la Polynésie obtenu via les TOM, Jean-Claude opte pour ce dernier… pour ce type de poste, Jean-Claude nous indique qu’il fallait faire une demande générale au ministère sans savoir s’il y avait des postes, puis, une fois le dossier accepté, candidater sur une liste de postes mais en dressant un ordre de priorité. Sur les six postes retenus, Jean-Claude obtient le dernier…un collège situé à 600 km au sud de Tahiti, sur l’île de Tubuaï (1500 habitants dont 60 européens, la moitié étant enseignant). Un petit tour au Furet du Nord, la librairie la plus célèbre de Lille, lui permet de localiser ce caillou au milieu de l’océan Pacifique…

 

Quel dépaysement ! Il y restera de 1982 à 1988, ayant réalisé sur ce poste de nombreuses animations en dehors de ses cours, même le week-end, avec des élèves obligés à rester internes 6 mois d’affilée, puisque les îles les plus proches étaient à 200 km. Le Conseiller principal d’éducation du collège (CPE) l’incite alors à passer ce concours. L’écrit avait lieu à Tahiti (600 km), l’oral à Paris (12.000 km).

 

Jean-Claude ne savait pas encore dans quelle fonction il s’engageait vraiment…En 1988, il est affecté au centre de formation de Grenoble, à Vizille, et son premier poste a lieu en lycée, à Annonay (Ardèche). Il souligne qu’il a été « très dur de s’adapter à cette fonction de CPE ». Jean-Claude a même demandé au Recteur de « faire marche arrière », mais sans succès… Il lui a été répondu « le corps des PEGC est en voie d’extinction. Vous avez choisi de passer ce concours. Aucun retour en arrière n’est possible ». C’est ce que l’on appelle, à l’Education nationale, la « gestion des ressources humaines ».

 

Jean-Claude adopte, pour l’avoir vécu, un regard très critique sur la fonction de CPE : « un métier au visage très différent d'un poste à un autre ». Tout le monde se décharge sur le CPE pour les problèmes de discipline, c’est « un rôle répressif, où il est difficile de remplir les missions éducatives prônées par le ministère, puisqu’en fait, il faut y jouer le super-flic ». Jean-Claude n’a donc cessé de songer à repartir Outre-Mer…

 

En septembre 1990, il est affecté à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane en lycée professionnel (250 élèves), avec un jeune proviseur conciliant, lui offrant des fonctions de CPE et proviseur-adjoint, avec un relationnel avec les élèves très différent de ce qui perdure en France.

 

En septembre 1994, retour en France à Chambéry comme CPE en lycée polyvalent, avec un internat de 500 élèves… Jean-Claude est encore plus amer sur les conditions de travail de ce type d’établissement et n’a pas de mots assez forts : « flic », « garde-chiourme », « beaucoup de mal à faire autre chose que de la discipline ». Il est donc difficile dans ce cas d’éduquer les élèves à la citoyenneté, de les accompagner dans leurs difficultés scolaires, alors que l’activité principale est de les sanctionner…

 

En décembre 1995, Jean-Claude passe le concours de personnel de direction et l’obtient, pour être affecté dans l’académie de Grenoble. Là aussi, il regrette que le ministère assimile les chefs d’établissement à des « chefs d’entreprise ». Pour lui, il s’agit « d’un écart à ne pas commettre ». Le projet actuel de renforcement des pouvoirs du chef d’établissement constituerait donc une erreur majeure à ses yeux.

 

Après une formation, en septembre 1996, il occupe un poste de principal adjoint au collège d’Albertville pendant deux ans, un poste enfin « dynamique, agréable ». Jean-Claude souligne que l'Education est tiraillée entre deux objectifs qui sont parfois opposés : un objectif humaniste (l'épanouissement de chaque individu) et un objectif économique (former des citoyens obéissants, disposer d’intervenants efficaces). Dans sa carrière, le CPE doit souvent privilégier le deuxième objectif, tandis qu'un chef d’établissement peut plus facilement poursuivre les deux d'une manière plus équilibrée.

 

Jean-Claude finit pourtant par démissionner de cette fonction de personnel de direction pour la raison suivante : un très mauvais reclassement depuis la hors-classe de CPE qu’il venait d’obtenir le jour de la rentrée. Administrativement, il aurait fallu, pour que ce dernier indice soit pris en compte, que cette hors-classe soit accordée la veille de la rentrée ! Là encore, nous constatons les rigidités administratives qui écoeurent plus d’un enseignant au cours de sa carrière. Jean-Claude gardera un souvenir « mesquin » de la gestion des personnels de l’Education nationale.

 

L'appel d'un collaborateur du Recteur soulignant qu'il devrait "se faire remarquer un peu plus dans les réunions, prendre la parole, se faire connaître du Recteur" afin que l'on puisse prendre mieux son cas en considération est la dernière goutte qui fait déborder le vase. Il n'a pas désiré devenir chef d'établissement pour "être remarqué" mais pour oeuvrer au service des élèves.  Redevenant CPE, il demande un nouveau départ pour la Guyane.

 

Jean-Claude tient à souligner que ce qui l’a déçu fortement dans ses fonctions de chef d’établissement et l’a conduit à cette décision, c’est le manque de reconnaissance de l’Education nationale pour son investissementon est tout le temps au boulot, il n’y a pas d’horaires »), et pour son expérience.

 

A la rentrée 1998, Jean-Claude est affecté en Guyane comme CPE sur un poste à profil paru au BOEN, et alors que l’EN avait refusé un reclassement, son poste lui permet d’être payé 40% de plus qu’en métropole. C’est en 2005 que Jean-Claude termine ce parcours hors du commun, à Iracoubo, entre Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni.

 

Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, pensez-vous avoir développées, et qui vous ont été utiles dans vos différentes affectations ?

 

Jean-Claude n’hésite pas à citer :

- la psychologie, qui l’a beaucoup aidée

- l’ouverture aux autres et au monde

- le respect et l’intérêt pour les enfants en travaillant dans ce métier : il faut en avoir la vocation pour y demeurer motivé toute sa carrière (la sienne aura duré 43 ans !)

 

- la disponibilité aux autres dans son temps et dans ses actions, dans tout son être : être à l’aise, donner beaucoup de soi-même.

 

Comment ses anciens collègues en France ont-ils perçu toute cette évolution de poste en poste à l’étranger ?

 

Partout où il est passé, les enseignants lui disaient « qu’est-ce que tu en as de la chance…j’aimerais faire comme toi, être à ta place ». Prodigue en conseils d’expérience, Jean-Claude a remarqué cependant que du rêve à la démarche de projet de mobilité, beaucoup reculent, car « il faut abandonner ses amis, sa famille, sa maison… ». Il faut être prêt « à larguer beaucoup de choses, à remettre en question ses habitudes, son quotidien, à s’adapter à l’altérité de certains postes ».

 

Quels conseils donneriez-vous à un jeune enseignant qui voudrait vous imiter en partant enseigner à l’étranger ?

 

Jean-Claude insiste : « bien se renseigner sur le pays et la région d’affectation, en connaître les aléas, les contraintes, l’isolement ». En Guyane, lors d’un remplacement à Maripasoula, paumé en pleine forêt, à 5 jours de pirogue ou 1h d’avion de la côte, il a cotoyé des enseignants qui avaient demandé « tout poste en Guyane », et ne songeaient qu’à repartir depuis leur premier jour…une expérience difficile pour eux, dans un environnement ressenti comme difficile (isolement, relations difficiles avec les autochtones, logements et approvisionnements précaires, coût de la vie excessif). « Cette perte de la sécurité quotidienne, dans un environnement très différent, il faut s’y préparer psychologiquement, être fort en soi ».

 

Pourquoi ne pas avoir tenté d’obtenir un poste d’attaché culturel ?

 

Jean-Claude, si Aide aux Profs avait existé à ce moment-là, aurait aimé savoir qu’il existait ce type de poste…qui l’aurait vivement intéressé. 

 

L’Education nationale communique en effet peu sur la diversité des fonctions qu’elle recèle, sans doute en raison de leur éparpillement, et d’une politique qui tend à garde l’enseignant « dans sa classe », sans savoir vraiment comment utiliser les compétences de celles et ceux qui n’hésitent pas à évoluer en détachement, en mise à disposition, en chargé de mission, ou à passer des concours pour enrichir leur professionnalisation. Cette reconnaissance des compétences d’un poste à l’autre est l’un des objectifs de l’association Aide aux Profs, par une communication régulière sur ses différents portails.

 

Quel regard portez-vous sur votre carrière ? 

 

« Oui, enseigner était une vocation, cela a été un énorme plaisir d’être au contact des élèves ». En devenant CPE, « j’ai regretté ce contact direct, sauf sur les postes à l’étranger ». « Si c’était à refaire, je n’aurais pas quitté mes fonctions d’enseignant pour CPE puis chef d’établissement, car le contact direct avec la classe m’a manqué ».

 

Avez-vous réalisé d’autres activités en marge de votre carrière ?

 

« Oui, le cirque ». Jean-Claude, qui avait monté une troupe de théâtre à Lille à ses débuts, s’est en effet pris de passion pour le cirque, enchaînant les galas « à tour de bras » d’abord seul puis avec son épouse, chacun jouant le rôle d’un clown (« comme l’enseignant en classe »), jusqu’à 50 spectacles par an, en France, mais aussi lors de ses diverses affectations en Polynésie, et dans différents pays d’Amérique du Sud.

 

« Grâce au métier d’enseignant, j’ai pu étudier les travers de l’être humain dans mes sketches, avec des numéros réglés à la seconde près, avec beaucoup de répétitions, et j’ai même appris à jouer de la scie musicale ».

 

Depuis 2005, Jean-Claude est à la retraite en Isère…et s’est mis à l’écriture, ayant en vain par le passé cherché des éditeurs pour ses nombreux écrits restés dans des tiroirs. 

 


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