Devenir professeur, c'est:
1. Concevoir tes cours selon une programmation officielle, conçue par des Inspecteurs Généraux qui ont été autrefois professeurs mais n'ont pas enseigné en école, collège ou lycée depuis au moins 20 ans (autant te dire que le public des années 2000-2024, ils ne l'ont jamais subi !).
Si tu es un nouvel enseignant, il te faudra 7 ans pour concevoir tous les cours de la Maternelle et du Primaire, 4 ans pour concevoir ceux du collège et 3 ans pour concevoir ceux du lycée dans ta discipline. Durant ces années-là, tu vas bosser entre 50 et 65 heures par semaine, payé(e) 1,4 SMIC pour un Bac+5.
C'est ce que l'on appelle "le métier le plus beau du monde". Il donnera sens à ta vie, te fera sentir utile au quotidien, mais si ton rêve était de bien gagner ta vie, tu oublies, direct, car ça n'arrivera pas, sauf si tu restes professeur juste quelques années avant de passer le concours de chef d'établissement, ou d'inspecteur, ou d'attaché d'administration. Et là, avec les primes, tu auras le sentiment de bien gagner ta vie avec au moins 26 ans d'avance sur tous tes anciens collègues professeurs.
2. Préparer ta classe avant chaque cours, sachant que si tu es jeune prof, tu auras rarement "ta classe" dès le départ sauf en école. C'est un privilège de l'ancienneté dans un collège ou un lycée. Tu vas surtout te "promener" d'une salle à l'autre les premières années, et tu devras beaucoup insister auprès de ton chef d'établissement pour obtenir "TA" salle.
3. Réaliser tes séances de cours de 55 mn chacune (+5 mn d'interclasse).
- en Ecole, tu dois 24h par semaine
- en Collège, ça dépend de ton grade. Le certifié doit 18h, l'agrégé doit 15h. C'est le même public, la même difficulté, mais c'est le grade qui continue de déterminer ta charge horaire. Autant te dire que c'est le principal avantage de l'agrégation, avec un meilleur salaire dès le départ ! Si ça peut te motiver... car c'est énormément de boulot de passer l'agrégation en interne, pas reconnue autant que l'agrégation externe.
- en Lycée, pareil. Même si les cours sont plus longs à concevoir, le certifié doit 18h, l'agrégé doit 15h. C'est une particularité de notre système.
Réaliser des cours... Aux Lycées Henri IV, Saint-Louis, etc... tes cours seront vraiment des cours. Mais si tu es affecté en REP, ou REP+ et que tu arrives à enseigner ta discipline au moins 20 mn par séance de 55 mn, tu auras déjà beaucoup de chance !
Tu passeras le plus clair de tes séances à faire taire les bavards, à contrer les insolents, les insultants, les agressifs, qu'il te reviendra de calmer, dans ta classe, en faisant le moins souvent appel au CPE et encore moins au chef d'établissement pour qu'ils n'aient pas des doutes sur tes compétences professionnelles (mais en INSPE, on ne t'apprendra pas à faire preuve d'autorité, puisqu'il est impossible de pratiquer des simulations avec de vrais élèves perturbateurs).
Tu l'auras compris: enseigner, c'est du stress. C'est la gestion des émotions du public qui ta fait face, et c'est d'autant plus difficile que l'effectif de tes classes est chargé. L'Education nationale préfère faire des économies et charger les classes jusqu'à 30 élèves en collège et 40 élèves en lycée, que de t'offrir de bonnes conditions de travail avec des classes de 10 à 20 élèves, que tu n'obtiendras que dans des dispositifs particuliers, ou des disciplines rares en Lycée Professionnel.
4. Tu auras beaucoup de copies à corriger. Et plus le public est âgé, plus les copies sont longues à corriger. Si tu enseignes une discipline littéraire, ce sera un travail nettement plus conséquent que celui des disciplines scientifiques ou culturelles (sport, musique), pour le même salaire !
Tu auras en général anticipé pour préparer ton devoir et son corrigé (1 à 2h de boulot en plus). Mais quand tu es dans une classe difficile, il arrive trop souvent que tu craques avec un "prenez une feuille ! interrogation écrite !" car tu en as marre de tous ces adolescents qui ne t'écoutent plus... et c'est du boulot de correction en plus.
5. Enseignant, à chaque début d'heure, tu dois faire l'appel de tes élèves sur l'ENT de ton établissement. T'assurer qu'il n'y a pas d'absent, et le cas échéant, le signaler. Ta responsabilité sera engagée si tu l'as oublié.
En fin d'heure, il te faudra compléter "le cahier de texte" électronique sur l'ENT, car si un inspecteur se pointe, c'est ce qu'il regardera méticuleusement (tu n'as pas idée... les inspecteurs sont tâtillons, certains jouent aux petits chefs, ils compensent ainsi les crises d'autoritarisme que leur propre hiérarchie leur fait régulièrement subir). Cela fait partie de ton travail.
6. Gérer une classe n'est pas donné au premier venu. Il faut de l'expérience, et c'est au fil de tes échecs de tenue de classe que tu apprendras quelle posture adopter. Attention, le stress guette tout professeur qui baisse sa garde et se montre "trop gentil" dès le départ, ou qui prend le risque de rire aux pitreries de ses élèves.
Rappelle-toi que tes élèves ne sont pas tes amis, et que tu es chargé de leur enseigner un programme long et lourd, et que tu n'as que 52 semaines pour y parvenir (les Inspecteurs Généraux, qui pensent tous qu'un cours c'est 55 mn de cours, conçoivent toujours les programmes pour 52 semaines x 55 mn de cours.
Ne culpabilise pas si tu ne parviens pas (jamais en fait) à terminer ton programme. Sinon tu es foutu, et tu vivras sans cesse de stress en tous genres, tu te culpabiliseras et tu entreras dans ce système conçu dès le départ pour t'infantiliser, te donner mauvaise conscience, car tu ne parviendras que rarement à donner d'excellents cours, pour recueillir, très rarement, les compliments de ton inspecteur. Lequel changera souvent, son successeur pouvant adopter un point de vue totalement opposé au précédent, en considérant que tes excellents cours étaient les pires qui soient. C'est le problème de ce sytème.
Préserve-toi, c'est important si tu veux "durer dans le métier", sans faire de dépression ni tomber en burn-out.
7. Participer (enfin, assister et écouter) à de multiples réunions de rentrée, de conseils d'enseignement, de conseils de classe, de réunions de parents d'élèves, de conseils pédagogiques, de conseils de disciplines, etc.
Rappelle-toi: ton horaire statutaire comptabilise juste le nombre d'heures de cours que tu dois. Tout le reste est élastique, illimité si tu le considères ainsi. Certains professeurs parviennent à travailler au plus 25 heures par semaine car tous leurs cours sont prêts et ils évitent de s'investir dans des projets et s'arrangent pour louper des réunions (des fumistes, donc), et la majorité va travailler entre 43h et 60h au total pour un salaire de misère si l'on considère le taux horaire final qui leur est payé.
Mais ça, tu ne le sauras qu'après avoir conçu tes cours et corrigé tes copies, et calculé le temps que tu y as passé...
8. Gérer autant que faire se peut ta santé: avec 84 médecins du travail pour 867.000 professeurs, autant te dire que l'Education nationale ne s'occupe pas de ta santé au travail, sauf dans le pire des cas où elle commence à trouver que tu as trop tiré sur la corde avec 5 ans de congé de longue durée payés plein temps, et qu'elle préfère te déclarer inapte au métier d'enseignant, et te reclasse sur un poste administratif, ou prononcer ta retraite pour invalidité (quel que soit ton âge, puisque l'idée sera alors de t'éjecter).
Tu attraperas les grippes, les gastro-entérites, les bronchiolites, les covid aussi... véhiculés par tes élèves. Et les parents de tes élèves te reprocheront d'être trop souvent malade, ainsi que ton chef d'établissement. Donc fais attention aux petits virus qui traînent dans tes classes...
9. Tu as eu envie de t'investir dans des projets, des sorties pédagogiques ?
C'est du boulot tout ça, en plus... non payé. Tu seras incité par tes collègues à contribuer à ces extras pédagogiques, mais tu n'y compteras pas ton temps, sans rien recevoir d'autre en retour que l'éventuelle satisfaction de tes élèves, et les commentaires parfois désobligeants de leurs parents te demandant si tes vacances ont été bonnes avec eux (pour les voyages de plusieurs jours, où ta responsabilité est pleinement engagée 24h sur 24).
Alors n'accepte jamais qu'on te traite de "feignasse de prof". N'accepte pas ça de ton entourage ni de la société, car tu t'en rendras compte très vite: dans de nombreux métiers administratifs, ils travaillent 30 à 50% de temps en moins que toi, pour gagner 30 à 50% de plus que toi, en catégorie A et même en catégorie B.
C'est l'argument principal de ceux qui envient tes 16 semaines de congés théoriques, qui une fois déduites toutes tes obligations (préparation des cours, correction des copies, heures PACTE maintenant, IMP, HSA, réunions, etc) ont abouti à 8 semaines de congés tout au plus, et parfois beaucoup moins.
10. Avant chaque rentrée scolaire, et chaque rentrée de congés, tu vas stresser un peu. C'est normal... anticipe avec des cours archi-prêts, et fais du sport toutes les semaines pour entretenir ta forme.
PROFITE BIEN DE TES CONGES DE TOUSSAINT 2024.
Tu les as bien mérités !
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