· 

Devenir professeur titulaire, c'est perdre sa liberté de mobilité


 

Le concept de mobilité professionnelle: historique et évolution

 

La « mobilité », terme employé dès 1200, du latin mobilitus, indique ce qui peut changer de place, de position. Ce peut être aussi un élément instable.

 

« Professionnelle » renvoie à profession, au métier. Le terme de profession est utilisé pour un « métier qui a un certain prestige par son caractère intellectuel ou artistique, la position sociale de ceux qui l’exercent  ». Cette définition s’applique bien à notre sujet : les professeurs.

 

Selon le thésaurus MOTBIS , l’expression « mobilité professionnelle » renvoie à déroulement de carrière, échelle de carrière, échelle professionnelle, plan d’évolution de carrière, progression de carrière, perspectives de carrière.

 

La mobilité est un concept défini par Pitirim SOROKIN  (SOROKIN, P.A., (1964), Social and cultural mobility, The Free Press) comme étant le phénomène du déplacement d'individus dans l'espace social. Il correspond au fait de changer de classe sociale.

 

Les principaux types de mobilité sociale que l'on peut chercher à mesurer sont :

 

la mobilité intra générationnelle (aussi appelée mobilité professionnelle) est le changement de position sociale au cours de la vie active de l'individu ;

 

la mobilité intergénérationnelle met en rapport la position occupée par un individu et celle de sa famille d'origine. On parle alors de mobilité ascendante quand une progression dans l'espace social est assurée pour la génération suivante (par exemple, un fils d'ouvrier devient cadre). En revanche, on parle de mobilité descendante quand une régression dans la hiérarchie sociale s'effectue d'une génération à la suivante (par exemple, un fils de cadre devient employé) ;

 

la mobilité horizontale correspond au fait de pouvoir changer de secteur professionnel sans changer de place dans la hiérarchie sociale.

 

La mobilité professionnelle est un enjeu stratégique dans un parcours de carrière

 

Choisie ou subie, la mobilité professionnelle met à nouveau les personnes en situation de sélection, de recrutement : elle les place donc en instabilité, en les interrogeant sur leur capacité à faire face au changement et à remobiliser leurs compétences dans de nouveaux environnements. Evoluer professionnellement, c'est "sortir de sa zone de confort", se mettre en insécurité. 

 

La mobilité professionnelle interroge également l’organisation du travail et les pratiques de management et de ressources humaines des entreprises.

 

Aussi, quelles sont les conditions permettant la professionnalisation des salariés en début de vie active comme en cours de vie active ? Comment rendre lisibles les perspectives de développement professionnel, d’évolution, de reconversion au niveau des entreprises, des métiers et des branches professionnelles, voire d’un territoire ?

 

Actuellement, avec l’allongement de la vie active liée aux réformes successives des retraites, la probabilité de passer toute sa vie professionnelle dans le même emploi et dans une seule et même entreprise devient de plus en plus faible, puisque plus de 60% des salariés, tous secteurs confondus, partiront à la retraite d’ici 2045.

 

Aussi, la mobilité professionnelle peut-elle être organisée comme un mode de gestion des compétences et des parcours, mais aussi comme un mode de prévention des problèmes de santé, comme les facteurs d’usure professionnelle ?

 

Selon G’SELL  (G’SELL, L. (2002), La mobilité professionnelle, un enjeu stratégique et social, Éditions ERE, p.3), les salariés doivent gérer leur propre carrière en la dynamisant par une mobilité interne ou externe :

 

- la mobilité interne correspond aux salariés qui ont quitté leur établissement sans changer d’employeur


- la mobilité externe correspond aux salariés qui ont quitté leur employeur et peuvent être soit en emploi, soit au chômage

 

La mobilité permet à l’individu d’être moins dépendant des besoins de l’organisation et d’évoluer en fonction de ses aspirations et de ses talents. Pour G’SELL, le métier d’un individu est le résultat des savoir-faire maîtrisés, des talents mis en œuvre et des services rendus par cet individu. Pour entrer dans une démarche de mobilité, tout en conservant leur employabilité, les individus doivent disposer de référentiels, de repères, pour évaluer le champ des possibles au sein de l’entreprise en termes d’opportunités, pour lesquelles ils ont des atouts pour réussir.

 

Pour BERTON F . (BERTON, F. (2001), Carrières salariales et marchés professionnels, Huitièmes journées de sociologie du travail, Aix-en-Provence, 21-22-23 juin 2001, CNAM), dans un marché professionnel, la qualification du salarié est transférable, ce qui permet une mobilité horizontale entre entreprises utilisant cette même qualification. Cette transférabilité exige une codification et une standardisation de la qualification avec le développement de diplômes professionnels de différents niveaux.

 

BERTON F. distingue plusieurs variables qui conditionnent la mobilité des individus : leur âge (1), la durée de leur vie professionnelle (2), leur degré de qualification (3), le nombre de périodes de chômage ou d’interruption d’activité (4), les fonctions professionnelles exercées et la permanence de ces fonctions (5).

 

De ces variables, elle définit quatre grandes situations :

 

- personnes en phase d’insertion professionnelle (moins de 26 ans, faible durée de vie professionnelle);

 

- personnes qui effectuent leur carrière sur un marché interne à une entreprise (un seul emploi pour la vie, ce qui était le cas de la grande majorité des professeurs depuis 1881, le système faisant tout ce qui est en son pouvoir, pour les faire rester);

 

- personnes situées sur un marché professionnel mais mobiles (plus de deux emplois dans une vie);

 

- personnes qui se sont reconverties professionnellement (plus de deux emplois);

 

- personnes en situation précaire affectées par une forte mobilité (plus de deux emplois dans une vie) avec de longues périodes de chômage

 

Rester sur un marché interne offre un salaire proche de la moyenne de la population, donc peu motivant, et de moins bonnes perspectives d’évolution qu’au travers d’une mobilité.

 

Les salariés les plus favorisés dont le revenu croit plus vite que les autres, sont ceux qui ont réussi une reconversion professionnelle assortie d’une mobilité externe. Ainsi les professeurs qui obtiennent un Master2 avant d'enseigner, s'ils ne pratiquent pas la mobilité en restant professeurs toute leur carrière, choisissent de se contenter de ce que le système leur donne, ce qui les déclasse rapidement en regard de leur niveau d'études, et des autres salariés qui ont eux aussi obtenu un Master2, et ont opté soit pour le privé, soit pour des fonctions administratives de catégorie A.

 

La mobilité géographique est un facteur de changements

 

Pour Cécile VIGNAL (VIGNAL, C. (2006), Concilier mobilité résidentielle et mobilité professionnelle : cadrage statistique et pistes de réflexion, Dossier n°2, Horizons stratégiques, Revue du Centre d’Analyses Stratégiques), deux situations coexistent :

 

- la mobilité externe concerne les salariés peu qualifiés ou en début de carrière, et s’accompagne d’un changement d’employeur;

 

- la mobilité interne (entre deux établissements d’une même entreprise ou de la Fonction Publique), qui offre des possibilités de carrière et de promotion

 

Selon le rapport de l’INSEE, dans la Fonction Publique, bien que la mobilité externe soit faible, 10% des salariés des trois fonctions publiques changent d’établissement chaque année, 65% d’entre eux par une mobilité interne.

 

Au sein du critère de la mobilité professionnelle, les professeurs évoquent souvent ces raisons, comme facteurs d'envie de changement de métier, à partir de 5 à 10 ans d'ancienneté, et pour certains dès la première année, si leur affectation s'est faite comme "remplaçant" ou dans une "REP" ou une "REP+" où les élèves sont difficiles à manier, dans des quartiers où règnent la précarité et la violence. 

 

- « envie de faire autre chose »;

- « lassitude du métier »;

- « routine des programmes enseignés »;

- « indiscipline des élèves »;

- « multiplication des incivilités »;

- « usure professionnelle »;

- « problèmes de santé »;

- « démotivation pour la pédagogie ».

 

Toutes ces variables ont un point commun : une usure du métier.

 

Pour évoluer professionnellement, un enseignant a besoin de bien cerner ses compétences, et celles qui peuvent lui permettre de s’adapter sur d’autres fonctions, que nous appellerons les « compétences transférables ».

 

A propos de la mobilité professionnelle des enseignants

 

Selon un rapport de la DARES la mobilité professionnelle des enseignants, en provenance ou à destination d’autres métiers est très faible, ce qui correspond à un marché interne, où la sécurité de l’emploi limite la mobilité externe.

 

Au cours de leur carrière, la position sociale de la majorité des enseignants demeure stable, avec une mobilité interne essentiellement par voie de mutation vers un autre établissement, ne pouvant enrayer les facteurs récurrents de démotivation (salaire peu évolutif, indiscipline et incivilités des élèves, charge de travail), qui touchent les enseignants au-delà de 20 ans d’ancienneté.

 

Ce qui pose problème depuis plusieurs décennies, c'est cette volonté de l'Education nationale de recruter à tout prix, sans laisser repartir

 

Depuis que notre association AIDE AUX PROFS existe, tout le système que nous observons à travers les milliers de témoignages qui nous parviennent de toute la France, montre que les Recteurs et les Dasen reçoivent "d'en-haut" (Elysée, Ministre, DGRH) l'ordre, sous forme de "feuille de route", de garder les professeurs le plus possible, en limitant le plus possible les désirs de mobilité externe.

 

Alors que les mouvements de mutation nationaux ne satisfont plus qu'à peine 10% des professeurs, tellement les barèmes sont devenus des usines à points difficiles à comprendre, faisant les choux gras de tous les syndicats qui conseillent toujours les professeurs dans leurs mutations à l'aveugle avec les outils qui leur sont proposés, l'administration n'a toujours pas depuis 20 ans appliqué les directives de la réforme des retraites de 2003 qui avait promis des "secondes carrières" dans son article 77 aux professeurs de plus de 15 ans d'ancienneté, "sur la base du volontariat".

 

En fait de mobilité, en-dehors des concours traditionnels pour devenir Chef d'établissement, inspecteur (IEN pour les professeurs des écoles et les Certifiés, et IA-IPR pour les agrégés), et du concours d'Attaché, les possibilités de changement définitifs sont rares dans l'Education nationale et ne concerneront que 2 à 3% des professeurs seulement.

 

97% des professeurs seront donc contraints de limiter leur vue professionnelle à l'enseignement, c'est énorme ! C'est le seul métier de cadre en France où les possibilités d'évolution professionnelle en interne sont si faibles, c'est une anomalie au niveau des administrations de l'Etat.

 

Les professeurs des écoles, majoritairement des femmes, sacrifient souvent leur première carrière ou leurs belles études pour la carrière de leur conjoint, ou pour avoir le temps, le pensent-elles, d'élever leurs enfants. Ce sont les professeurs les plus nombreux à souffrir du véritable manque de possibilités de mobilité dans l'Education nationale. Les IEN font pression sur elles pour qu'elles acceptent de devenir directeur d'école en complément de leur enseignement, lorsqu'elles demandent à évoluer professionnellement. Cela alourdit considérablement leur temps de travail pour des fonctions qui ne comportent pas de véritable reconnaissance comme manager d'une équipe, et pas de valorisation financière réelle, puisque les professeurs des écoles devenues directrices, lorsqu'elles calculent le temps passé en regard de leur prime de direction d'école, constatent souvent qu'elles ont été payées nettement moins que le taux horaire du SMIC, tellement être directeur d'école est chronophage.

 

L'Education nationale est donc un système où la main d'oeuvre des professeurs est exploitée à faible coût, alors qu'un Master2 a été exigé de ces personnes qui auraient dû obtenir le statut de "cadre pédagogique", qu'elles n'ont pas, puisque souvent malmenées par des inspecteurs qui leur imposent des conditions de travail souvent déplorables, en en conduisant encore trop vers le burn-put, sans reconnaissance.

 

Les femmes professeurs des écoles sont devenues ces esclaves du monde moderne, avec des mutations empêchées, des demandes de mobilité entravées, avec une hiérarchie faite d'IEN et de DASEN qui multiplient à l'envi les "nécessités de service" pour les empêcher de repartir quand elles le souhaitent. Que de pleurs, de détresses constatées, que d'impuissances observées lorsque nous sommes contactés.

 

Est-ce parce que l'administration qui dirige est surtout masculine, ignorants du double emploi du temps que bon nombre de professeurs des écoles réalisent chaque semaine, entre leurs enfants et ceux des autres ? C'est plausible.

 

Les DASEN, hauts fonctionnaires, changent d'affectation tous les 1 à 3 ans, et réalisent de très belles carrières, très bien rémunérées. Il est plus intéressant pour un professeur des écoles aujourd'hui de chercher à rester le moins longtemps possible dans l'enseignement, 4 à 6 ans maximum, pour grimper le plus vite possible via les concours d'IEN, puis de Chef d'établissement, puis de devenir Adjoint à un DASEN puis DASEN. Leur salaire sera multiplié par 3 à 5 avec leurs primes (le RIFSEEP) fixes et variables, en oubliant totalement d'où ils viennent, se conformant avec loyauté aux feuilles de route de leur Ministre, du DGRH, pour freiner le plus possible les envies de mobilité des professeurs des écoles. 

 

Les évolutions professionnelles des professeurs sont toujours problématiques au 21e siècle. En collège et en lycée, les enseignants se sont trop spécialisés dans une à deux matières, et leur employabilité est nettement plus difficile que celle des professeurs des écoles qui enseignent toutes les disciplines, de manière superficielle, développant plus des compétences d'animation, de logistique, et d'administration, qui facilitent leurs évolutions professionnelles.

 

L'Education nationale n'est toujours pas prête à envisager son ouverture aux parcours de carrière diversifiés souhaités par ses troupes. Elle utilise ses DASEN et ses Recteurs pour réduire autant que faire se peut les départs de ceux qui n'en peuvent plus, ne veulent plus enseigner, contredisant le principe pourtant fondamental de la liberté des hommes et des femmes, et du droit à disposer d'eux-mêmes.

 

Il est possible d'en conclure que le mode de GRH de l'Education nationale est autocratique, puisqu'il use de nécessités de service à foison pour contraindre le professeur titulaire à le rester.

 

AIDE AUX PROFS conseille donc aux candidats à ce métier de ne pas passer les concours, s'ils ne sont pas certains de leur vocation pour ce métier, s'il s'y orientent par défaut, puisque le plein emploi se produit actuellement à la faveur des départs massifs en retraite dans tous les métiers, et que les salaires de cadres sont nettement meilleurs dans tous les autres métiers que dans celui de professeur.

 

Devenir professeur titulaire, c'est avoir bien compris que le système t'empêchera de repartir, te contraignant à te mettre dans une situation inextricable, psychologiquement, comme si tu sentais piégé(e), comme dans une prison.

 


Écrire commentaire

Commentaires: 0