· 

François, de professeur de construction mécanique à électricien


François, de professeur de construction mécanique à électricien:

 

Diplômé d’un BTS mécanique et automatisme en 1985, François expérimente l’enseignement sur un trimestre en remplacement dans un lycée professionnel. Il évolue ensuite comme formateur, puis coordinateur de stage au sein d’une mission nationale d’expérimentation nouvelle qualification pendant 2 ans et demi. En 1987, et pendant 2 ans, il oriente sa carrière dans l’industrie, en travaillant dans une industrie de fabrication de machines spéciales automatisées, mais la faillite de la société le décide à rejoindre à la rentrée 1989 l’Education nationale pour un poste d’enseignant en construction mécanique jusqu’en 1994.

 

Cette année-là, il est détaché de son poste d’enseignant sur des fonctions de chef de travaux dans son établissement, et un an plus tard, démissionne de son contrat de maître-auxiliaire pour un contrat de droit privé, toujours dans le même établissement privé de l’enseignement catholique. En 1995, il accède aux fonctions d’adjoint de direction jusqu’en 2004, où des difficultés annexes le contraignent à accepter un licenciement. Là, c’est le grand vide pendant un bon mois, et François décide de créer son entreprise.

Tout au long de ce parcours, François a cherché à « fuir la routine », « tenter de nouvelles expériences », « développer ses compétences », en particulier dans la création de réseaux informatiques pour son établissement scolaire. Sa formation de base est liée à l’électricité, mais c’est « le bec dans l’eau » qu’il s’est retrouvé face à l’ANPE, mais, dit-il « ne voulant rien en attendre, j’ai décidé de construire mon projet ». Au début « je voulais reprendre une entreprise, mais des critères économiques m’ont incité à créer la mienne ».

 

Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, François a-t-il conservées ?

 

« Les trois compétences principales que j’ai pu développer dans mon parcours ça a été :

- d’abord la situation d’écoute. Ce que je n’avais pas à l’issue de ma formation technique, je le résume aujourd’hui en disant que je suis capable d’écouter le besoin de l’autre. Et ça je l’ai appris au travers des élèves, au travers des collègues,

 

- ensuite, c’est globalement une situation de communication. J’arrive à faire passer le message que je veux parce que je l’ai travaillé dans le cadre de ma construction pédagogique,

 

- enfin, gérer une équipe, si tant est qu’on ait eu, à un moment de sa carrière, à faire face à la fonction de professeur principal. Gérer, ou plutôt coordonner une équipe, c’est une compétence indéniable ».

 

Comment François a-t-il vécu ce « grand saut » ?

 

« Il a la particularité d’être lié à une rupture de contrat non-désiré. C’est vraiment l’élément clef. Je l’ai vécu comme un échec. Mais, évidemment, c’est un échec de mon parcours professionnel. Dans ce sens-là, je me retrouve face à un néant. Le néant de moi-même ou pendant un mois on ressasse tout… Les différentes compétences qu’on vient d’évoquer, on essaie de rassembler tout ça. Mais pendant un mois c’est le vide.

 

Quand je dis le vide c’est le bord de la déprime, la capacité à sentir qu’on peut aller très bas. Une fois que le déclic c’est produit, effectivement tout se construit en un temps record. En ce qui me concerne la mise en œuvre de l’entreprise s’est passée en un mois de temps. Je suis passé d’une situation de néant à une situation d’entrepreneur. En un mois j’ai dû apprendre à tourner la page et quand la page était tournée, on reconstruit ».

 

Comment ses anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?

 

 « Le regard des autres enseignants, des collègues enseignants ou pas c’est « chapeau, tu te lances dans une aventure… . C’est un vrai regard de soutien ».

 

Pour les professeurs qui souhaitent « faire autre chose » mais ne le font pas, c’est, pour certains « la peur de se lancer, la peur de l’échec. Pour les autres, c’est le manque de motivation, de ne pas savoir comment s’atteler à ce problème compte tenu des difficultés que ça comporte. C’est énorme. C’est un autre monde ».

 

François a-t-il eu des regrets de quitter l’enseignement ?

 

« Mon projet initial de reconversion c’était de devenir chef d’établissement. Ce qui était la suite logique de mon parcours. Le monde de l’enseignement me plaît viscéralement. Donc j’avais souhaité entreprendre toutes les formations pour devenir moi-même chef d’établissement mais je n’ai pu réaliser cet objectif du fait de cette rupture de contrat.  

Redevenir enseignant aujourd’hui ? Je ne peux pas répondre forcément favorablement parce je me sens certainement moins patient pour reprendre la gestion d’une classe. Par contre, retourner dans le monde de l’éducation, oui. Ca me manque énormément. 

 

Je dirais que le seul regret que j’ai c’est celui-là. De ne plus avoir ce contact avec les élèves, avec les familles. Aider l’élève et le porter dans sa réussite. Ca me manque énormément. Il y a un regret que j’ai. J’étais donc enseignant technique. Cela me rappelle une discussion que j’ai eu avec un IPR : on demande à l’entreprise d’assurer la formation de terrain des jeunes par le biais des périodes de formation.

 

C’est peut-être au niveau des enseignants qu’il faudrait la mettre en place. Qu’un technicien d’entreprise ne se sente pas que technicien d’entreprise mais que le monde de l’entreprise et le monde de l’Education soient complètement imbriqués l’un dans l’autre. Et ça je pense que ça amènerait une grosse richesse. Un regret donc sur les modalités d’action dont dispose un enseignant ».

 

Comment François considère-t-il l’enseignement professionnel, maintenant qu’il est devenu chef d’entreprise ?

 

« J’ai un regard qui a quand même évolué, en passant du monde de l'Education nationale au monde de l’entreprise axé sur le bâtiment, donc avec des profils très particuliers. Aujourd’hui j’ai une vision de l’Education nationale qui n’est vraiment plus en phase avec le monde de l’entreprise. J’ai une réflexion qui est parfois très ironique.

 

Je me demande jusqu’où l’Education nationale a encore son rôle à jouer dans le monde de l’enseignement professionnel. On voit toujours aujourd’hui un transfert des élèves de la scolarité initiale vers l’apprentissage. Même les lycées professionnels sont en train de mettre en place des structures d’apprentissage… Ca, ce sont des questions économiques. Mais de plus en plus le système d’éducation professionnelle repose sur le système d’apprentissage de l’entreprise. Je me demande jusqu’où l’Education nationale est encore capable de former des jeunes techniciens, des jeunes professionnels. Ca, c’est un regard très cynique mais qui est issu de mon expérience professionnelle et absolument pas de l’Education nationale ».

 

Que pense François de ses nouvelles conditions de travail ?

 

« Considérer que j’ai réussi ce serait très prétentieux. Par contre je suis fier du parcours de mon entreprise d’une part parce qu’elle est en pleine évolution. Aujourd’hui j’ai trois salariés, les perspectives d’embauche continuent à se profiler. Des évolutions de chiffres d’affaires, de rentabilité… Il y a des chiffres clefs qui font que j’ai l’impression d’œuvrer dans le bon sens. Plutôt que de considérer aujourd’hui que j’ai réussi, plutôt, je suis fier de mon parcours d’entrepreneur. Le rythme de travail n’a plus rien à voir : en tant qu’enseignant, je réalisais 18h de face à face plus l’équivalent de 18h de préparation de cours, de correction de copies. Aujourd’hui, en tant que chef d’entreprise je travaille 70-80 heures la semaine. Mais la création d’entreprise ça a été du 24h/24. Le rythme n’a strictement rien à voir. D’une part parce qu’on n’est plus dans une situation de salarié. A moi de trouver mon propre salaire".

 

Que pense François de la création d’une association comme AIDE AUX PROFS ?

 

« C’est plus qu’une bonne chose. Ca me paraît hyper pertinent parce que le regard qu’ont les gens de l’extérieur sur l’enseignant qui se remet en cause à un moment donné est très bizarre. C’est-à-dire qu’on a d’un côté cette image de l’enseignant avec la blouse grise c’est-à-dire 50 ans en arrière qui défend le sacro-saint savoir du village, donc le notable par excellence. Aujourd’hui il y a ça qui existe encore.

 

Donc on ne comprend pas pourquoi quelqu’un qui est fonctionnaire va remettre en cause son profil. Quand je disais qu’à un moment dans ma carrière j’ai démissionné de mon statut d’enseignant pour rependre dans le même établissement un statut de droit privé on m’a regardé avec des yeux bizarres. Comment je pouvais imaginer faire une telle aberration ? Moi ça me paraissait une évidence. 

 

Une association comme AIDE AUX PROFS va justement avoir un regard plus compréhensif sur l’élément qui permet à un enseignant de remettre en cause sa carrière et à un moment de la réorienter. Et ça pour moi effectivement c’est un manquement. 150 % d’accord. »

 


Écrire commentaire

Commentaires: 0