Les grèves ne se produisent pas pendant les congés scolaires, puisque tous les professeurs sont en vacances. Alors tout au long de l'année, les syndicats qui veulent exister aux yeux de leurs adhérents les mobilisent avec toujours les mêmes revendications légitimes: augmenter le point d'indice de la fonction publique, revaloriser les échelles indiciaires, augmenter les primes, améliorer les conditions de travail. Les salariés perdent un jour de paie par jour de grève, mais les élus syndicaux non. Explications...

Chaque fois c'est le même dilemme pour les professeurs : faire grève maintenant, ou à la prochaine journée de grève pour réussir à maintenir son pouvoir d'achat ?
Les élus syndicaux, responsables académiques qui mobilisent leurs troupes ne se verront pas prélever le fameux jour de carence pour jour de grève, soit 1/30e de la paie du mois. Ils sont donc tous enclins à mobiliser leurs collègues pour faire grève.
Mais leurs collègues, eux, regardent attentivement leur fiche de paie à chaque grève, et elles ont tendance à se multiplier dans l'année, sans prendre la forme des grèves d'autrefois. Au lieu de grèves continuent dont l'issue était quasi garantie, d'obtenir satisfaction, au 21e siècle, les grèves sont sporadiques, un jour par-ci, un jour par-là, et l'Etat attend de voir quel sera le taux d'agents mobilisés et manifestants dans la rue pour évaluer si les syndicats peuvent ou non faire pression sur lui.
Ces grèves discontinues jouent en défaveur des agents, car il leur faut compter à chaque fois sur une remobilisation de leurs collègues, entre deux périodes où l'émulation est retombée. Cela n'aide pas beaucoup à faire aboutir les revendications.
L'Etat, lui, fait des économies, en ponctionnant à la fin du mois ou un mois plus tard (car la paie d'un fonctionnaire se prépare avant le 15 d'un mois pour le versement du mois suivant) le jour de carence.
Lorsque le taux de grévistes est supérieur à 10%, l'Etat commence à entendre les voix qui s'expriment dans la rue, et à les dénombrer. Les syndicats annoncent toujours des nombres de manifestants doubles de ceux que la police a réussi à compter. Les taux de grévistes eux ne peuvent mentir: chaque administration recense sur chaque lieu de travail les grévistes, les présents, et les agents qui seraient en congé maladie.
Et ce qu'ignorent les agents, c'est qu'un jour de carence, c'est un jour non travaillé. Il n'est non seulement pas payé, mais il ne compte pas non plus dans les trimestres-retraite. Si le nombre de jours de carence d'un agent finissent 43 ans plus tard par atteindre voire dépasser la valeur d'un trimestre-retraite, il doit donc travailler un trimestre de plus pour obtenir sa retraite à taux plein, sinon, il aura une décote (constat vérifié après témoignage de plusieurs anciens professeurs ayant découvert "le pot aux roses" en prenant leur retraite).
Combien d'euros en moins pour un professeur gréviste par jour de carence ?
Tous les professeurs ne sont pas logés à même enseigne:
- les jeunes, qui gagnent environ 2.000 € nets en début de carrière, avec des primes d'installation, des primes pendant 3 ans parce qu'ils sont nouveaux dans le métier, vont perdre sur environ 2.100 € nets la somme de 70,00 € par journée de grève. Une journée, c'est supportable, 2 journées, c'est l'équivalent d'un caddie de courses, 3 journées, c'est peut-être un billet d'avion ou une semaine en camping qui saute dans l'année scolaire... Au-delà de 3 jours de carence par an, c'est la démobilisation. Or, la grève est le seul moyen pour les syndicats de faire pression pour obtenir la satisfaction de leurs revendications. Donc c'est un cercle vicieux, puisqu'au fil de leurs mobilisations, les troupes se dispersent, chacun regardant d'abord si ses finances le permettront. Et c'est de cette manière que l'Etat réduit la capacité des syndicats à mobiliser.
- les professeurs en premier tiers de carrière, prenons l'exemple d'un professeur des écoles ou d'un professeur certifié, sur la même échelle de rémunération, perdront entre 90,00 € et 100,00 € par jour de grève au bout de 11 ans d'ancienneté, au 6e échelon, leur brut de 2.446,62 € étant augmenté de l'ISOE et d'une HSA ou d'une brique de Pacte. Car la journée de carence est calculée sur le brut, pas sur le net.
- les professeurs à mi-carrière, 20 ans d'ancienneté, sont au 9e échelon avec un salaire brut de 2.929,06 € augmenté de l'ISOE et d'éventuelles HSA et briques de Pacte ou d'IMP (Indemnités pour Mission Particulières), d'une mission de PP, ce qui leur fera une ponction par jour de grève de 105,00 € à 120,00 €.
- aux trois-quarts de leur avancée d'échelon, parvenus en hors-classe, et désillusionnés de ce que les syndicats obtiennent habituellement de l'Etat après avoir mobilisé 4 à 10 fois par an, vont y regarder à deux fois: payés par exemple au 2e échelon de la Hors-Classe à 3.096,43 € entre leur 26e (pour les plus chanceux) et leur 36e année de carrière (pour les plus malchanceux qui ont stagné 6 ans entre leur 11e échelon et l'accès à la hors-classe), la ponction du jour de carence sera située entre 110,00 € et 130,00 € selon qu'ils aient des HSE, des HSA, du Pacte, de l'ISOE, une prime de PP, etc.
- en fin de carrière, au sommet de la hors-classe au minimum, parvenus à 4.066,22 € bruts augmentés de l'ISOE, de HSA, de HSE, de Pacte, une prime de PP, etc, la ponction par jour de grève sera située entre 140,00 € et 150,00 €. Ah, ça commence à faire mal au portefeuille...
Selon ton échelon, tu veux savoir combien d'euros tu perdras après 1, 2, 3 jours de grève ?
Pense à ajouter à ton brut les primes que tu touches actuellement, sachant qu'elles sont plus nombreuses dans le 2nd degré que dans le 1er degré. Ajoutes-y tes HSE et HSA (les profs du 2nd degré ont nettement plus de chances d'en obtenir que dans le 1er degré).
Tu l'as bien compris: à diplôme égal, même après concours, c'est le professeur des écoles qui est le plus mal payé, du début à sa fin de carrière.
GRILLE INDICIAIRE DES P.E GRILLE INDICIAIRE DES PLP
GRILLE INDICIAIRE DES CERTIFIES GRILLE INDICIAIRE DES AGREGES
Les techniques des "petits malins" pour faire croire qu'ils font grève tout en étant rémunérés :
Certains "petits malins", impossibles à dénombrer (tout chef d'établissement pourra s'apercevoir de la coïncidence d'un congé maladie de courte durée avec celle d'un jour de grève) partisans ou non de la grève, anticipent d'un jour ou deux en tombant comme par hasard en congé maladie pour être absents le jour de grève, ce qui laissera penser à leurs collègues que eux aussi sont grévistes, alors que leur congé maladie leur aura bien payé leurs journées de salaire, sauf un jour de carence non payé comme les grévistes.
Mais alors, quel gain pour ces "petits malins" ? Les syndicats fixent leurs jours de grève toujours en mardi, un mercredi ou un jeudi, pour éviter le lundis et les vendredis qui verraient les agents administratifs prolonger plutôt leur week-end en profitant du jour de grève. Les professeurs eux, en prenant un congé maladie le mercredi, ont donc mercredi-jeudi (grève)-vendredi-samedi-dimanche: et hop... 5 jours peinard pour 1 jour de grève, donc le gain est de 4 jours payés pour 1 jour perdu. Ceux qui s'exercent à de telles pratiques ont un médecin généraliste empathique, et des classes tellement pénibles que ça leur fait du bien de profiter du jour de grève pour se concocter une période de repos intermédiaire entre deux périodes de congés scolaires.
A quoi ont conduit les revalorisations salariales précédentes ?
A chaque revalorisation, les ministres successifs de l'Education nationale sont de grands malins: ils augmentent du 1er au 6e échelon voire jusqu'au 9e échelon, mais pas ensuite. Ils considèrent qu'au-delà, un professeur est bien payé.
Sauf qu'en concentrant toujours les efforts d'augmentation sur la première moitié de carrière, ceux qui sont au-dessus s'aperçoivent que 20 ans après avoir commencé à enseigner, ils gagnent autant au niveau indiciaire qu'un professeur qui a 15 ans d'ancienneté.
Récemment, une professeur des écoles qui a obtenu une rupture conventionnelle après 20 ans de carrière nous disait: "quand j'ai commencé à enseigner, je gagnais 1.600,00€ nets. L'an dernier, j'étais parvenue à gagner 2.100,00 € nets, soit 500,00 € de plus par mois en 20 ans. Et les jeunes qui débutent dans le métier, depuis la revalorisation BLANQUER, gagnent 2.100,00 € nets. Donc moi, j'ai le sentiment de m'être fait avoir..." Et c'est pour ça qu'elle a préféré demander une rupture conventionnelle, pour monter son entreprise et espérer gagner plus par sa productivité. Car un professeur à un certain échelon, quoi qu'il fasse, qu'il travaille double de ses collègues ou non, gagnera pareil au niveau indiciaire. Il n'aura pas de "primes variables".
Faire grève, ça peut changer quoi ?
- Faire grève, c'est se sentir solidaire de ses collègues qui vivent un tant soit peu la même dégradation de leur pouvoir d'achat pour des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, avec une augmentation des incivilités, et notamment de celles qui exposent la vie des enseignants (attaques au couteau suivies ou non de décès). Chaque Ministre est dans la communication, et le temps que l'Etat ait les moyens d'équiper tous les collèges et les lycées de portiques de sécurité, il peut s'en passer du temps...
- Faire grève, c'est une manière se se défouler, de crier ensemble sa colère dans les rues, de se sentir fort ensemble, une journée par-ci par-là dans l'année. Cela soude les liens avec ses collègues dans la même galère, le même pétrin.
- Faire grève, c'est espérer que les décideurs "entendent". Plus les agents sont nombreux, plus ils "entendront".
Mais financièrement, le compte n'y est pas la première année : si l'on estime le nombre de jours de grève à 6 en moyenne par an, le professeur se sera privé de 420,00 €/an à 900,00 € par an selon son grade, son échelon et ses primes éventuelles.
En cas de victoire, l'Etat augmentera d'une vingtaine d'euros par mois une partie des professeurs, ce qui fera 240,00 €/an à peut-être 300,00 €/an en plus, et il faudra donc 2 à 3 ans pour que chaque gréviste ait fait une "opération blanche" en rentrant dans ses fonds, avant de commencer à gagner plus. Entre temps, il leur faudra espérer que l'inflation n'ait pas été trop importante pour grever à nouveau le peu gagné.
Devenir professeur, c'est d'une certaine manière accepter toute sa vie (43 annuités) la condition du salarié mal payé pour ses diplômes, mal rémunéré pour ses efforts, au sein d'un ministère qui le protège mal, qui n'investit pas dans une médecine du travail digne de ce nom, qui l'affecte un peu n'importe où en début de carrière et souvent dans des académies où se loger est très cher (Versailles, Créteil, Paris), sur des postes difficiles (partagés sur 3 à 4 établissements pour les professeurs des écoles, ou implantés dans une REP ou REP+ aux élèves très difficiles à gérer).
Le professeur contractuel, lui, n'a pas les soucis du titulaire : s'il estime ne pas gagner assez pour ses efforts, alors qu'il aura pu négocier son salaire brut entre les échelons 1 et 11 de la grille indiciaire de P.E ou de Professeur certifié, réalisera sa mobilité à n'importe quel moment de l'année, puisqu'il est libre, lui. Et ira vers le mieux disant, le plus offrant. Il n'aura pas à subir trop longtemps un chef d'établissement ou un inspecteur maltraitant.
Voilà pourquoi, pour éviter que la masse salariale infidèle ne s'accroisse, les syndicats préfèrent réclamer "plus de postes aux concours", "la titularisation des lauréats en liste complémentaire", "la titularisation des contractuels", car, en cogestion des carrières avec l'Education nationale, ils savent que les titulaires seront bloqués par des "nécessités de service" lorsqu'ils voudront repartir travailler ailleurs pour "'gagner plus", et que, devenus titulaires, ils seront obligés d'accepter l'affectation qui leur est assignée.
De 2025 à 2035, les départs des professeurs (et des agents des 3 Fonctions Publiques) triplent par rapport à la période 2020-2025, et ce sont de nombreux postes de cadres nettement mieux payés que professeur qui vont se libérer dans tous les domaines d'activité dans le Privé.
Ceux des professeurs qui ont décidé de rester contractuels le voient déjà et n'ont pas besoin de faire grève, car ils s'adaptent à une vie qu'ils ont choisie, et qui leur offre une grande souplesse :
- ils ne sont pas balancés à 600 voire 1.000 km de chez eux dans des académies trop chères pour leur maigre salaire,
- ils peuvent décider de se faire recruter dans le département où ils veulent vivre : la pénurie est tellement importante, qu'ils ont le choix,
- ils peuvent refuser une affectation qui leur déplaît,
- ils peuvent négocier leur emploi du temps avec leur direction d'établissement (qui préfèrera accepter de crainte qu'ils ne prennent pas le poste proposé),
- ils ne perdent pas contact avec leur réseau familial et amical de leur département d'origine, ce qui peut les conduire à bénéficier parfois d'un logement mis à leur disposition
- ils n'ont pas perdu leur liberté d'expression contrairement aux lauréats des concours
- ils ont surtout conservé leur liberté de mobilité 12 mois sur 12 alors que les professeurs titulaires ne sont pas même certains que leur académie leur autorisera de partir au 1er septembre d'une année.
Les revendications habituelles des syndicats sont simples, comme dans ce sketch des Inconnus (de 1'11 à 1'29) :
Écrire commentaire