
Illustration : Copyright, André Philippe Côté, Le Soleil, 2025
André Philippe Côté est illustrateur au Québec et a accepté l'usage gracieux de sa caricature pour notre association bénévole, et nous l'en remercions. Cela nous permet aussi de faire connaître à nos lecteurs son talent.
L’interdiction des téléphones portables au collège réussira-t-elle en 2025-2026 ?
Le 27 août 2025 la Ministre de l’Education nationale s’est donné l’objectif de réussir ce que ses prédécesseurs n’ont pas réussi : l’interdiction des
téléphones portables au collège, dans l’enceinte de chaque établissement.
Le défi est de taille : 7.000 collèges sont concernés pour 3.386.800 élèves.
Si l’on considère un coût moyen de 450,00 € (révélé par le magazine "Que Choisir"), cela fait donc 1,5 milliard d’euros de smartphones à sécuriser dans ces
7.000 collèges pendant chaque journée, placés sous la responsabilité des adultes, chaque collégien espérant retrouver son smartphone à la fin de la journée.
Comme le rappelle fort justement l’historien Claude LELIEVRE dans un article publié par le Café Pédagogique le 27.08.2025, il faut remonter au 2
mars 2017 il y a 8 ans à une promesse d’Emmanuel MACRON au moment des élections présidentielles pour cette interdiction du portable.
Depuis que le Ministre Jean-Michel BLANQUER avait annoncé l’interdiction des smartphones au collège par une loi du 3 août 2018 pour les écoles et les
collèges, portables qui devaient rester éteints au fond des sacs, il s’est passé plus de 7 ans.
En 2018-2019 les portables sont d’abord au fond des sacs, éteints, les élèves observant si les adultes sont en capacité de leur interdire de
l’allumer. Puis les portables seront allumés au fond des sacs. Puis certains braveront l’autorité des adultes en le gardant dans la poche arrière de leur pantalon. D’autres
adopteront la stratégie « des deux portables » :
- Un qui ne fonctionne plus à remettre en cas de demande d’un adulte qui s’est aperçu que l’élève s’en était servi en classe ou dans
un couloir
- Un qui fonctionne, qui a photographié, enregistré, filmé, et qui ne sera pas remis, l’adulte n’étant pas en capacité dans le
brouhaha d’un couloir ou d’un escalier ou dans la poursuite de son cours, de prendre le temps nécessaire pour vérifier.
L’enjeu de la rentrée et de l’année scolaire et des suivantes, c’est de convaincre, pardon, d’obliger, les collégiens addicts à leur smartphone
(comme leurs parents, leurs professeurs, et le reste des agents administratifs) de s’en priver durant la journée de cours.
Mission impossible ?
Ce qui va certainement fonctionner immédiatement, c’est la suspension de la mise à jour des ENT utilisés au collège (le fameux Pronote) le
soir et le week-end pour que les parents ne cèdent plus à la tentation d’adresser des mails qui submergent les enseignants de leurs enfants, et que les enfants ne passent plus leur temps
à vérifier que tel ou tel professeur leur a donné des « devoirs maisons » ou a bien indiqué leur note au dernier devoir rendu.
Ouf… tout ce petit monde va pouvoir respirer en fin de journée et enfin faire une « pause numérique ». Il reste à savoir si, le soir, les parents vont oser
priver leurs enfants de leur smartphone, de leur télévision, de leur ordinateur, de leur tablette numérique ou de leur playstation. Nul doute que la privation de leur smartphone en
journée se répercutera le soir et le week-end et que l’atmosphère familiale s’en ressentira. Mais là, la Ministre fait totalement confiance aux parents pour gérer cette problématique
puisqu’ils en sont responsables : après tout, à la base, ce sont eux qui on acheté le smartphone à leur enfant et lui ont souscrit un abonnement qui grève leur budget mensuel.
L’objectif de la Ministre est multiple :
- Réduire l’exposition des jeunes élèves notamment masculins aux contenus pornographiques, puisque, incités par des camarades « très bien
informés », certains découvrent dès la 6e des images choquantes sur leur smartphone, en contaminant leur cerveau, les conduisant à adopter des comportements tactiles abusifs envers leurs
camarades féminines, ou à leur adresser des remarques humiliantes (que nous nous abstiendrons de citer tellement elles sont nombreuses et dégradantes) sans que celles-ci
en comprennent immédiatement les raisons.
- « Améliorer la qualité d’écoute et de concentration nécessaire aux activités d’enseignement »
- « Tenter de réduire la convoitise, le racket, le vol entre camarades » : là ce n’est pas gagné, puisque certains établissements
auront choisi de placer en début de journée ou en début de chaque cours les portables de chaque élève dans un casier, tandis que d’autres auront fait acheter aux parents une pochette anti-ondes
verrouillable, surchargeant en fin de journée le travail des Assistants d’éducation chargés de procéder au déverrouillage.
Tous les parents ne sont pas d’accord puisque beaucoup ont doté leur enfant d’un smartphone pour se rassurer, certains allant jusqu’à placer un GPS sur le
portable de leur enfant pour les suivre à la trace.
La Ministre espère améliorer le climat scolaire, mais qui va assumer la manutention en début et en fin de journée et surtout la responsabilité de la casse
et du vol éventuel d’un smartphone, car ça ne manquera pas de se produire :
- Le principal du collège et son adjointe ?
- Le professeur qui réceptionne tous les smartphones de la classe dans un casier qu’on lui aura remis ?
- L’assistant d’éducation qui aura verrouillé chaque étui acheté par le département et remis à chaque élève ?
Et pour les établissements qui auront choisi de placer tous les casiers dans une salle de classe surveillée par des assistants d’éducation, ou dont les
volets et fenêtres ont été clos, et la porte verrouillée, il n’en reste pas moins que savoir que dans cette salle il y aura entre 400 et 1.200 portables (selon le nombre d’élèves dans le
collège), cela fera courir des risques d’intrusion, en raison de la somme en euros que constituent tous ces portables.
L’association « E-enfance » révèle que 24% des 8 à 18 ans ne tiendraient pas plus d’une heure dans leur
smartphone.
On imagine aisément l’état d’énervement qui sera le leur tout au long de chaque journée d’école et de collège, pensant à leur outil qui leur a été retiré, manquant de pouvoir lire leurs notifications ou de consulter les messages de leurs copains sur leurs réseaux sociaux préférés. Il va falloir que leurs professeurs soient à la hauteur de cette privation en devenant plus captivants que toutes les applications numériques que ces collégiens utilisent.
E-enfance indique le temps d’écran moyen selon les âges :
- 0h56 par jour, soit 7h par semaine, vers 2 ans
- 1h20 par jour, soit 9h par semaine, autour de 3 ans
- 1h34 par jour, soir 9h par semaine, autour de 5 ans
- 9h par semaine pour les 7 à 12 ans et 9h par semaine aussi pour la télévision
- 18h par semaine pour les 13 à 19 ans et 9h par semaine pour la télévision.
Les 11 à 15 ans, ce sont les collégiens. Donc ils passent 18h à 27h par semaine sur des écrans, bien que la playstation et les tablettes numériques et les
micro-ordinateurs dont les collectivités locales les ont dotées, n’aient pas été comptabilisées.
De ces adolescents, leurs parents ont fait des consommateurs : au collège, un élève de 5e a déjà renouvelé plus de 3 fois son smartphone et vers la
4e/3e, plus de 5 fois. Les parents divorcés rivalisant entre eux de cadeaux pour s’attirer l’attention de leurs enfants, dans une concurrence acharnée. Et voilà le
résultat.
Alors, est-ce que l’interdiction des smartphones à l’école et au collège va fonctionner ?
Si la Ministre s’en va après le 8 septembre, non, et si elle reste, elle fera quelques journées de communication pour montrer que « oui ça marche », mais pour que ça marche dans les 7.000 collèges, dès 2025-2026, ce serait un miracle.
Il y a fort à parier que les collégiens les plus insolents, les plus rebelles, les plus inventifs, continueront par défi de contourner les interdictions, et ce sera
à qui réussira à utiliser un smartphone sans que les adultes le voient, pour photographier, filmer, diffuser.
Si l’interdiction des portables n’est pas accompagnée d’un durcissement des « règlements intérieurs », d’un panel de sanctions adaptées, de la convocation
systématique de Conseils de Discipline pour les fautifs (sans qu’aucune « chance supplémentaire » leur soit donnée), ça ne marchera pas.
Si une nouvelle fois comme cela se produit dans de nombreux établissements, les adultes « baissent la garde au bout de quelques mois », si des confits
naissent entre la Direction et leurs équipes pédagogiques quant aux sanctions à appliquer aux élèves fautifs d’avoir utilisé un portable malgré l’interdiction, alors les adolescents
sauront en profiter.
Si les principaux de collège subissent des agressions verbales et physiques de la part de parents mécontents que le smartphone de leur fils/fille ait été
saisi, ou ait été brisé, cassé, ou irrités que leur fils/fille ait été exclu de l’établissement par conseil de discipline pour un portable utilisé dans l’établissement, il est certain que les
professions de principal de collège, et de professeur, deviendront de véritables repoussoirs.
La solution ?
Celle du retour en arrière dans la pédagogie des enseignants avec le brouilleur d’ondes ? Cela exposerait les élèves à ce type de dispositif peut-être
néfaste aux électro-sensibles, et cela déprimerait les professeurs qui ont passé des milliers d’heures à innover pour une pédagogie basée sur l’usage des écrans.
Une chose est sûre : après le marché des cours particuliers, certaines entreprises ont trouvé un nouveau créneau : la vente de pochettes
anti-ondes.
A défaut d’avoir vu se généraliser les uniformes (expérience menée par le Ministre Gabriel ATTAL), voilà le marché des pochettes anti-ondes achetées par les
collectivités locales, et peut-être les parents lorsque ces collectivités commenceront à trouver que tout cela leur revient bien cher…
3,8 millions de collégiens, 7,6 millions de parents, un sacré marché de consommateurs à développer… !
Sources utilisées:
Déclaration du 27.08.2025 d'Elisabeth BORNE
Statistiques de l'Education nationale 2024-2025
Données du magazine Que Choisir
Article de Claude LELIEVRE dans le Café Pédagogique du 27.08.2025
Article Ouest-France du 26.08.2025 sur la difficulté de faire adhérer les parents à la mesure
Données fournies par l'association "e-enfance"
Exemple de pochette anti-ondes de l'entreprise Aratice
Expérimentation lancée en 2023 par Gabriel ATTAL pour les uniformes à l'école
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