En Seine-Saint-Denis, tous les professeurs de France maintenant le savent: les conditions d'enseignement sont innommables avec des écoles, des collèges et des lycées mal entretenus.
Les professeurs qui y sont nommés ont obtenu partout en France leur CAPES ou leur Agrégation pour enseigner dans le 2nd degré, et une fois l'année de stage passée, ont été pour 65% d'entre eux affectés dans des académies dont ils ne voulaient pas: Versailles ou Créteil.
Dans les départements de Région parisienne, les taux d'admission des concours de professeur des écoles sont connus pour être les plus bas de France. Alors beaucoup s'y presse, sûr d'obtenir un emploi de fonctionnaire: mais à quel prix, ensuite, si c'est pour être payé si peu, et traité de telle manière ?
Dans ces académies, la vie est nettement plus chère que partout en France, mais ça n'augmente pas pour autant la rémunération des professeurs. Ils sont contraints, dès leur entrée dans le métier de professeur, de faire des petits boulots non déclarés à côté de leur vie d'enseignant. Certains vont garder des enfants le soir, d'autres donner du soutien scolaire dans les disciplines qu'ils maîtrisent. D'autres trouveront des quarts de temps dans des entreprises privées de restauration.
D'autres vont trouver "un bon plan":
- loger chez des amis de leurs parents, quitte à occuper le canapé du salon
- loger chez un retraité pour lui assurer une présence la nuit, et lui faire ses courses
- loger en colocation, quitte à se priver d'une partie de sa tranquillité et intimité
- loger dans un foyer de "jeunes travailleurs" (après un Master2 + Concours, on a envie d'en pleurer)
En Seine-Saint-Denis, tout est fait pour retenir les professeurs. Un arrêté du 20 décembre 2023 pris en application du décret n°2020-1299 du 24 octobre 2020 portant création d'une prime de fidélisation territoriale dans la Fonction Publique de l'Etat étend la prime à de nombreux agents de différents ministères, tellement ce département présente des conditions difficiles d'exercice de sa mission de Service Public.
Le montant de la prime allouée aux agents de l'Etat a été porté à 12.000,00€. Pour en bénéficier, il faut compter 5 ans de services effectifs continus, calculés... à compter du 1er janvier 2024 (autant dire que la patate chaude est ici refilée au Gouvernement du prochain quinquennat).
La prime de fidélisation est versée progressivement. Si l'agent est en poste depuis le 1er janvier 2024, 20% doit lui être versée, et autant dire que l'Education nationale ne se presse pas pour les verser. 40% seront versés à la fin de la 3e année de services effectifs, puis 40% à la fin de la 5e année de services effectifs.
12.000,00 € sur 5 ans, ça fait donc 2.400,00 € par an, soit 200,00 € par mois sur 5 ans en moyenne. A peine de quoi payer la nourriture pour 2 mois d'un individu.
En Seine-Saint-Denis, même avec des logements sociaux, le loyer revient a minima à 500,00 €/mois pour un nouvel agent de l'Etat, sans compter les charges (électricité, eau, chauffage). La prime couvre uniquement une part des dépenses inhérentes à la proximité de Paris, ville où le pouvoir d'achat nécessaire est important.
Les professeurs titulaires gagnent en théorie 2.000,00 € nets par mois, qu'ils vont tenter d'augmenter par des heures supplémentaires (HSE, HSA), des heures "PACTE", pour faire face au coût de la vie en région parisienne.
En parallèle, leur établissement scolaire étant dépourvu de moyens, ils doivent souvent acheter eux-mêmes le matériel pédagogique dont ils ont besoin.
Alors comment ne pas comprendre leur colère démarrée en Février 2024 dans les rues de Seine-Saint-Denis, et devant le Rectorat de Créteil, en vain pour l'instant, car la hiérarchie de l'Education nationale n'entend que ce qui l'arrange ou la met en valeur, et préfère oublier tout le reste, tant que les professeurs continuent d'enseigner dans des conditions aussi déplorables.
"Du fric, du fric pour l'école publique, du pèze, du pèze pour le 93 !" est leur slogan, répété dans les rues, martelé par leurs pas cadencés.
Ils réclament:
- des moyens pour leurs écoles, collèges et lycées pour mieux les entretenir,
- des postes pour réduire les effectifs de leurs classes,
- l'arrêt de la réforme "le choc des savoirs" qui est destinée à trier les élèves selon leur niveau, comme si le Collège unique avait déjà cédé la place au Collège du Tri Sélectif.
Le moment est particulier: l'Education nationale n'a toujours pas de Ministre en cette rentrée difficile où la pénurie de professeurs est importante.
Le seul souci de l'Inspection Générale, pour y parer, c'est de supprimer des écoles, collèges et lycées partout où c'est possible pour augmenter les effectifs des classes. ces IGEN sont complètement déconnectés du terrain, eux qui sont sûrs de ne plus jamais enseigner. Le Café Pédagogique parlait de "rapport explosif" le 13.09.2024.
Ce qui pourrait arriver de mieux comme de pire pour l'Education nationale, c'est que tous les professeurs de Seine-Saint-Denis décident de démissionner en masse, en attendant que la situation s'arrange financièrement, pour aller trouver ailleurs de meilleures conditions de travail, un meilleur salaire, une meilleure considération, et retrouver leur dignité.
Pour l'instant, ils ne le font pas, bien encadrés par leurs syndicats.
Mais l'attractivité du métier de professeur en prend un sacré coup: il est de su de tous les candidats au métier de professeur qu'obtenir un concours de l'enseignement, c'est risquer 3 fois sur 4 d'être affecté dans de telles conditions, en région parisienne, et de passer le premier tiers de sa carrière, 10 à 15 ans, dans des conditions dégradées.
C'est le "cadeau" que la France fait à ses enseignants. Le métier le plus beau du monde est juste un slogan pour les faire venir.
Ensuite, une fois "captés", toute l'administration les empêchera de repartir. Nous sommes fréquemment contactés par des professeurs des écoles qui tentent en vain depuis 10 ans d'obtenir leur mutation, ou qui se voient refuser leur demande de disponibilité, de rupture conventionnelle et même de démission simple.
La France reste une grande puissance, mais voit ses conditions d'enseignement se dégrader, avec une administration constituée d'agents administratifs soumis au droit de réserve, et qui en se regardant dans une glace le matin et le soir, doivent avoir une piètre opinion de leur utilité sociale, à force de refuser aux professeurs le droit de disposer d'eux-mêmes et de les contraindre à devoir accepter des conditions aussi déplorables.
10.09.2024 : "du pèze pour le 93" dans Le Parisien.
21.03.2024: Moi, enseignante en Seine-Saint-Denis, dans Enlarge your Paris.
(les professeurs ne sont pas payés pendant leurs jours de grève)
01.03.2024: Seine-Saint-Denis: les enseignants dénoncent un département sinistré, dans Les Echos.
Et coetera...
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