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Devenir professeur est-il toujours une vocation ?


Les motivations pour devenir enseignant sont nombreuses. Une chose est sûre: on ne devient pas professeur pour l'argent, car on ne fait pas fortune dans ce métier.

 

Il est aisé de distinguer les réelles vocations, de moins en moins nombreuses au sens du sacerdoce qu’elles induisent, des orientations par affinité pour une discipline, et qui sont les plus nombreuses. La majorité des étudiants s’oriente vers ce métier par défaut, ou par besoin de gagner leur vie, en sachant qu’ils y trouveront une multitude de possibilités de s’y épanouir, en fonction de leur lieu d’affectation, de leur intérêt pour une discipline, de l’intérêt de leurs élèves, et de leur créativité. 

 

On n’entre pas à reculons dans ce métier, puisque le niveau des concours est toujours exigeant, et que le ratio candidats/admis est de 5,5 inscrits par poste en 2022.

 

Ceux qui y entrent le font de plus en plus souvent sans réelle passion, car le métier d’enseignant n’a plus bonne presse, : dévalorisé financièrement, eu égard au niveau de qualification requis pour y prétendre, il attire de moins en moins. Les candidats savent qu'ils passeront toute leur vie à descendre dans la rue à l'appel des syndicats pour demander régulièrement des augmentations de salaire qui seront toujours inférieures à ce qu'ils espèrent, et toujours inférieures à ce que demandent les syndicats.

 

En 2022, les candidats aux Capes externes toutes disciplines confondues étaient de 18.819 pour 5.225 reçus, soit un ratio de 1 poste pour 3,6 candidats. Pour les agrégations, hors concours spécial, il y a eu 17.920 candidats pour 1.550 postes, soit un ratio de sélection de 1 poste pour 11,5 candidats.

 

Devenir professeur fonctionnaire n'est donc pas toujours bradé. L'agrégation demeure sélective, puisque c'est le "must" des grades enseignants, qui permet d'être bien  mieux payé dès le départ qu'un professeur des écoles ou qu'un professeur certifié. Le concours de l'agrégation est toutefois biaisé car une bonne cohorte issue des Ecoles Normales Supérieures passe le concours juste comme un pari, pour obtenir une agrégation qui sera juste une preuve de leur brillant parcours et compétences intellectuelles, alors qu'ils n'iront pas enseigner en collège ni en lycée. Grâce à leur allocation de moniteur, ils pourront tranquillement bénéficier d'un régime spécial leur permettant de poursuivre leurs études en thèse, en repoussant à plus tard l'éventuelle prise de poste dans le 2nd degré. C'est ce que l'on appelle en France "l'égalité de traitement".

 

Dans le Premier Degré, 41.641 inscrits en externe se pressent pour décrocher 8.323 postes, soit un ratio de sélection de 1 poste pour 5 candidats.

 

Le métier de professeur n'est pas donc pas en pénurie. Il intéresse toujours un grand nombre d'étudiants, de salariés du privé en reconversion, de mères de famille aussi qui ont élevé leurs enfants jusqu'à leurs 16 ans et souhaitent reprendre aisément une activité professionnelle, qui leur sera facilité pour l'enseignement dans le Premier Degré.

 

Selon les académies, la sélectivité est différente. Dans les académies de Créteil et de Versailles, le concours est nettement plus facile à obtenir que dans les académies de Rennes ou de Nice. Les candidats qui se précipitent par facilité sur les départements où les concours sont "faciles" à décrocher, oublient que c'est contrecarré par l'impossibilité pendant 15 ans environ, d'obtenir leur mutation pour tout autre département, et notamment en province, et qui plus est dans les départements les plus touristiques, les plus agréables en termes d'environnement (soleil, mer, montagne, jolis villages, ensoleillement important, etc.).

 

L'Education nationale demeure le plus important employeur de France, c'est un Ministère gigantesque, et aucun gouvernement n'a encore réussi à transformer le mode de recrutement, ni le mode de rémunération.

 

Pour "casser" le gigantisme, il faudrait que les concours pour le Second Degré soient départementaux comme ils le sont pour le Premier Degré. Cela éviterait le déracinement de milliers de personnes chaque année vers des académies où ils n'ont jamais eu envie de vivre, et où ils seront malheureusement contraints de s'éloigner.

 

Sur le plan salarial, les grilles servent uniformément aux mêmes échelons tous les professeurs les écoles, les certifiés, les PLP, les agrégés. Or, le niveau de vie n'est pas le même entre la Région parisienne et les départements ruraux d'Auvergne ou de l'académie de Limoges. Les prix immobilier à la location comme à l'achat sont nettement plus importants en Région parisienne et dans les grandes agglomérations, que dans les territoires ruraux les plus éloignés des grandes villes.

 

Alors qu'un professeur muté dans une zone rurale d'Auvergne aura le sentiment de "bien vivre" avec un salaire décent, celui muté en Région parisienne sera juste un travail pauvre, un précaire, obligé d'accepter un logement dans un établissement scolaire, qui n'a rien de glamour pour recevoir ses copains et sa famille, s'il a la chance qu'on lui en propose un. Beaucoup préfèreront habiter en colocation, qui les privera de leur intimité, les empêchera de fonder une famille, en différent d'une bonne décennie cet objectif. Il leur sera impossible d'acheter un logement, ne fusse qu'une chambre de bonne, sauf avec l'aide de leurs parents. Ceux qui ont la chance d'habiter une grande ville sans en être déracinés, continueront d'habiter une bonne décennie chez leurs parents, pour éviter trop de frais. 

 

La vie de professeur, malgré le Master2, équivalent d'un niveau d'ingénieur, est malheureusement dépréciée en France. Le salaire est très proche du salaire initial d'un diplômé du BAFD, ou d'un BPJEPS, et seul l'objectif d'un salaire progressif qui pourrait augmenter de 70% en 42 années, permet de faire la différence au niveau des échelles indiciaires d'animateur territorial et de professeur.

 

Quelles sont les motivations à devenir professeur ?

 

1) J’ai toujours rêvé de faire ce métier pour aider les autres

 

L’enseignant qui a toujours été un bon élève durant sa scolarité a été positivement influencé par des professeurs qu’il a su apprécier, en s’imaginant parfois à leur place, au bureau, au tableau, en train d’enseigner. Ces bons élèves ont fait des exposés, se sont plus à s’exprimer souvent à l’oral, à l’aise dans le groupe classe pour donner les réponses attendues par leurs enseignants. 

Globalement, ils idéalisent tous le métier d’enseignant, comme si l’impression qu’ils en ont eue enfant ou adolescent n’avait pas varié dans le temps. Ils ont à cœur de vouloir aider les élèves en difficulté, et s’engagent dans le métier d’enseignant comme s’il s’agissait d’une mission humanitaire, en se persuadant que « les élèves ont besoin d’eux », et « qu’il les écouteront, eux ». 

Les jeunes enseignants cumulent plusieurs handicaps dans cette forme d’engagement, qui fausse leur perception de ce qu’est réellement ce métier, et les contraint à endurer plusieurs années une situation que, dès le départ, ils supportent difficilement, si leur métier est rapidement devenu synonyme de souffrance au travail :

- Ils ne sont pas encore parents (une petite minorité), pour ceux qui ont décidé de vivre en couple, et leurs enfants, le cas échéant, ont encore rarement l’âge de ceux auxquels ils seront chargés d’enseigner ;

- Ils ont été gavés de savoirs académiques dans leur formation initiale, sans avoir été suffisamment formés aux différents aspects pratico-pratiques spécifiques du métier d’enseignant ;

 

- Ils sont porteurs d’une espérance familiale, qui peut voir en leur réussite au concours une progression familiale dans l’échelle sociale. Coincés entre les exigences familiales de "réussite sociale", et celles de "trouver un emploi sécurisé". A ce titre, toute difficulté vécue dans le métier fait peser sur eux toute la déception familiale s’ils se décidaient précocement à démissionner.

 

« Aider les autres », « transmettre », « enseigner des valeurs », « me sentir utile », « être faite pour ça », montre que chez ces enseignants, enseigner est bien plus qu’un métier. 

Cette forme de vocation rejoint les campagnes de communication des politiques qui parlent d’un « métier magnifique », du « plus beau métier du monde »

 

Le métier est toujours idéalisé dans l’inconscient collectif, avec sa dimension de transmission de savoirs, auprès d’un public supposé être en attente d’enrichissement intellectuel, attentif, et à l’écoute, alors que la réalité ne cesse de démontrer le contraire, car l’enseignant, tel un bouc-émissaire, est au carrefour de toutes les critiques : celles des élèves, de leurs parents, de ses collègues, des personnels d’encadrement, d’évaluation et de gestion de sa carrière.

 

Si les enseignants pouvaient apparaître comme des notables locaux au 19e siècle, investis de la mission de transmettre leur savoir, ce n’est plus la norme dans un 21e siècle baigné dans la profusion de l’information par de multiples canaux : presse, radio, télévision, Internet. Le professeur n'est plus le principal détenteur du savoir, son aura intellectuelle et morale a fondu au fil des inventions numériques.

 

Dans cet engagement de soi, cet investissement où l’on se donne entièrement, il y a un risque, qui peut survenir rapidement : celui de s’épuiser au travail, d’année en année, sans en prendre conscience, puisque l’envie de départ est un véritable engagement, un rêve de jeunesse. 

 

Que l’on soit professeur des écoles avec une classe à l’année, ou professeur en collège ou en lycée avec plusieurs classes à l’année, le travail ne se termine pas en refermant la porte de la classe à la fin de la journée. La crise sanitaire a montré à tous les parents que le métier de professeur c'est beaucoup de préparations de cours. Les 4 à 6 premières années, il faut concevoir tous les cours des niveaux de l'établissement d'enseignement où l'on est nommé, ou recruté. Il faut compter entre 3 et 6h de préparation par heure cours selon les niveaux, et les disciplines.

 

Si le temps moyen hebdomadaire d'un professeur atteint 43h selon les sondages et enquêtes syndicales en 2022, il est certain que les jeunes professeurs, pendant 1 à 6 ans au moins, auront des semaines de 60h de travail, payées à peine plus haut que le SMIC. C'est là que le comparatif peut se faire: le Master2 ne suffit pas pour faire ses preuves, ce n'était qu'une étape. Et de plus en plus de professeurs qui se sont esquinté la santé à obtenir leur Master2 puis leurs concours, avec 2 à 4 essais sur 2 à 4 années successives, n'ont pas compris que les 1 à 6 années suivantes seront tout aussi éprouvantes que leur Master2.

 

La France a conçu un système qui épuise les vocations pour l'enseignement, entre un Master2 chapeauté par des universitaires qui chargent la barque des enseignements et des contraintes d'évaluation autant qu'ils le peuvent, pour réussir à démontrer qu'un Master2, "ça vaut quelque chose", "que la barre est haute", alors qu'on ne leur a jamais demandé de faire des concours de l'enseignement aussi éprouvants physiquement et psychologiquement que l'ex Ecole Nationale d'Administration, puisque le salaire de la première année sera de 1,1 SMIC, et que même 15 ans plus tard, il n'aura pas dépassé 1,4 SMIC (alors que l'énarque, lui, sera déjà avec ses primes à plus de 4 SMIC).

 

Les premiers mois, la première année, l’enseignant va focaliser son inquiétude sur ces élèves qui lui posent problème, sur la réaction collective de la classe, ou sur ces détails d’organisation qui font que ses préparations de cours ne se déroulent pas comme prévu. Les insomnies en songeant à ces élèves perturbateurs feront partie du quotidien des enseignants les plus fragiles. 

 

 

Les visites régulières des inspecteurs, qui n’ont pas tous la même appréciation des méthodes d’enseignement ni de la manière d’aborder tel ou tel aspect du programme de leur discipline, sont souvent vécues par les professeurs de manière culpabilisante, car professionnellement déstabilisantes, après un tel niveau de formation initiale : Bac+5 !

 

Quelle que soit son ancienneté, même après 30 ans de carrière, l’enseignant en France ne peut jamais avoir la certitude d’être durablement perçu comme compétent dans sa pratique professionnelle, ce qui le place en permanence professionnellement en instabilité, dans un contexte dévalorisant.

 

L’attirance pour ce métier s'en trouve fragilisée, contrariée, car entre l’imaginé et la réalité vécue au quotidien, un grand fossé s’est creusé, celui du temps qui passe, celui des êtres qui changent, celui d’une société qui évolue, celui d’une Institution qui ne sait pas encore apporter le soutien positif de proximité nécessaire à ses enseignants pour s’affirmer dans la difficulté de leurs missions. 

 

Depuis plus de 20 ans, l'inspection s'est durcie envers les professeurs, et quels que soient les efforts de certains, ils découvrent qu'aux 6e, 8e et 9e échelons, ils ne peuvent gagner qu'un an d'ancienneté en plus. C'est un système complètement démoralisant pour qui veut "gagner plus".

 

Alors ceux qui veulent "gagner plus", au lieu d'enseigner, comprennent bien vite qu'il leur suffit d'obtenir un concours d'inspecteur, de chef d'établissement, pour rejoindre "le camp" de ceux qui piloteront, dirigeront, manageront les professeurs, en gagnant 2 à 4 fois plus qu'eux très rapidement grâce à l'avantage système du RIFSEEP qui associé des primes fixes et variables en fonction des résultats individuels et collectifs.

 

Le professeur, lui, est la dernière roue du carrosse. Puisqu'il a la vocation, c'est le plaisir d'enseigner qui sera sa principale valorisation personnelle, dans un système qui ne sait pas valoriser, récompenser les personnes méritantes, ou si peu. Le professeur lambda passera sa vie à désespérer que sa vocation ne lui ait pas permis d'obtenir un statut social comparable à un ingénieur, un avocat, un médecin, et découvrira vers ses 40 ans que son salaire a augmenté d'à peine 30 à 40%, et qu'il doit acheter son appartement ou sa maison à restaurer, sa voiture d'occasion, qu'il doit régulièrement obtenir la mansuétude de son banquier pour obtenir un prêt, ou réduire le % de ses agios car son découvert commence dès le 20 du mois, si ce n'est pas, dans les grandes agglomérations, le 15.

 

Le projet actuel du Ministre en 2023, c'est de proposer de signer "un pacte" qui alourdira encore plus le temps de travail, pour 10% de salaire en plus, seulement. 300,00 € par mois pour 72h de plus de tâches diverses et variées. 72h qui vont générer entre 1 et 3h chacune de préparation, selon qu'il s'agit de préparer des cours, des heures de "devoirs faits" (qui supposent que chaque professeur saurait enseigner dans toutes les disciplines de tous les niveaux du type d'établissement où il intervient, ce qui est totalement illusoire), ou tout autre chose. 

 

Ainsi, si l'on considère 2h en moyenne de préparation pour 1h réalisée, cela fera 72 + 144 = 216h sur l'année en plus. Soit 6h réelles sur les 36 semaines. 16,66 bruts de l'heure. A BAC+5, rien à voir avec les 25,00 € d'un médecin qui vous garderait 20 mn en consultation, ni avec les 150,00 € de l'heure de conseil d'un avocat.

 

Une manière habile de faire travailler un agrégé 17h au lieu de 15h, un certifié ou un PLP 20h au lieu de 18h, sans modifier en apparence le quota d'heures attaché à son grade. Mais nul doute qu'après quelques années d'expérimentation, si les professeurs sont nombreux à adhérer au "pacte", le quota lié au grade obtenu volera en éclats.

 

Il sera alors aisé de proposer 20h, et pourquoi pas 22 à 24h de cours par semaine à des Professeurs Certifiés et PLP, et 18 à 20h à des agrégés, faisant faire des économies à une Education nationale qui se réduira progressivement à 600.000 voire 500.000 professeurs au lieu des 867.000 actuels. Comme la paie des postes économisés sera reportée sur l'augmentation de ceux qui restent, même épuisés, ils ne songeront plus à se plaindre, ni à réaliser un cumul d'activité. Ils seront bien forcés de s'investir à fond dans leur métier, sans se plaindre, jusqu'à leurs 67 à 69 ans s'ils veulent obtenir leur retraite à taux plein, celle qu'on leur promet tout en en changeant tous les 5 à 7 ans les règles de fonctionnement.

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Chanig (jeudi, 02 mars 2023 19:08)

    Pourquoi l'enseignement serait davantage une vocation que être boulanger, puéricultrice, ou conducteur d'autocar?
    Pourquoi toujours ce mot associé à celui de prof. ?
    C'est agaçant et cela démotive les candidats.
    C'est un métier comme un autre, rien de plus. Et le gouvernement l'a bien compris.

  • #2

    Aide aux Profs (jeudi, 02 mars 2023 19:57)

    Bonjour Chanig
    Expliquez cela au Gouvernement et aux syndicats, qui répètent "le métier le plus beau du monde", et n'imaginent pas qu'une fois entré dans ce métier, un professeur puisse en repartir. Et ça fait 242 ans que ça dure.
    Cordialement.