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Professeur jusqu'à 67 ans et plus, est-ce bien raisonnable ?


Avec 62 médecins du travail pour 867.000 professeurs, comment l'Education nationale va-t-elle résoudre la difficile équation "Recul de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans + manque de postes adaptés + augmentation de la pénibilité des fins de carrières" ?

 

D'une réforme des retraites à l'autre, depuis 2003, l'âge légal de départ ne cesse de reculer, ce qui augmente la pénibilité au travail à partir de 55 ans pour les professeurs, et pour de nombreuses autres professions. Les professeurs des écoles sont les plus touchés à force de se pencher vers les petites tables, les petites chaises, les petits élèves, et arriver dans ce métier après 50 ans n'est pas conseillé, en raison des nombreux problèmes articulaires dont souffriront les professeurs.

 

Les nouveaux professeurs depuis 2010-2011 qui doivent obtenir un Master2 puis un concours pour devenir fonctionnaires, sont titularisés vers leurs 24 ans en moyenne. Ils obtiennent leur concours après 2 à 3 essais pour leur majorité. 

 

Et que leur promet l'Etat ? Une retraite amputée des 5 dernières années qui comptent chacune pour 5% du montant de leur pension civile, s'ils partent, épuisés, avant d'avoir atteint toutes leurs annuités. Un professeur titulaire à 24 ans devra travailler 42 à 43 ans, et sera donc en poste jusqu'à 67 ans, minimum. Autant dire que les manifestations pour ne pas reculer l'âge de départ obligatoire à 64 ans ne le concernent plus, puisqu'il sera encore redevable de 3 ans, qui amputeront sa pension de 15%.

 

Les femmes, qui constituent quand même 93% des professeurs de Maternelle, 78% des professeurs de Primaire, et 62% des professeurs de Collège et de Lycée, sont les plus mal loties dans le système, qu'il s'agisse de l'Education nationale ou de tout autre ministère ou emploi salarié dans le privé, car celles qui suivront leur conjoint muté sans travailler, ou a minima, y perdront en cotisations, et celles qui seront mères, avec des congés parentaux et des temps partiels, perdront en pension et en annuités complètes.

 

C'est la double peine avec un emploi familial: élever ses enfants et encore trop souvent se charger de la majorité des tâches ménagères, qui pèse sur les femmes, un temps pris ma reconnu par les politiques, qui sont une majorité d'hommes, tandis que les femmes politiques délèguent souvent l'éducation de leurs enfants à des aides (nounous, professeurs particuliers), et certaines ont une personne qui fait à la fois leur ménage et leur cuisine. Yves DELOISON le décrit très bien dans cet ouvrage "Pourquoi les femmes se font toujours avoir".

 

Les femmes dans l'enseignement constituent la majorité des personnels et sont pourtant malmenées par le système, avec des pensions de retraite plus faibles, des progressions salariales plus faibles, moins d'accès aux hors-classe et classe exceptionnelle. Les gouvernements qui se succèdent  semblent considérer que le salaire de professeur est un salaire d'appoint pour de nombreux professeurs, puisque la majorité des professeurs sont des femmes. Cela pourrait expliquer cette si faible motivation depuis 30 ans à augmenter les professeurs.

 

Nous avons maintes fois attiré, comme le font aussi certains syndicats, sur la souffrance au travail et sur la pénibilité des fins de carrières des professeurs, et sur leur précarisation inévitable pour celles qui partent avant l'âge légal. Nous avons ces 17 dernières années été contactés par bon nombre d'enseignantes ayant pris jusqu'à 10 années de disponibilité pour suivi de conjoint, sans exercer de métier en parallèle, avec souvent un conjoint les quittant vers leurs 45-55 ans, peu reconnaissant de leurs efforts pour sacrifier pour eux leur carrière, les quittant pour une femme plus jeune ! Certaines découvrent sur le tard, vers leurs 55-60 ans, qu'elles auront à peine 600,00€ bruts de pension de retraite, nous sommes loin du mirage du "minimum de pension à 1.200,00 €" du Gouvernement BORNE, qui ne les concernera pas.

 

La pénibilité du métier de professeur au fil de l'âge pour les professeurs est source de lassitudes et de précarisation.

 

Mieux vaut désormais considérer le métier de professeur comme une étape, et non un "métier à vie" comme jadis. Mieux vaut, pour ceux qui sont passés du statut d'étudiant sans avoir vécu d'autres expériences professionnelles, enseigner de leurs 24 à 45 ans avant d'évoluer professionnellement ailleurs, non enseignants, pour éviter cette pénibilité des fins de carrière, car c'est déjà au bout de 8,4 ans en moyenne que survient la lassitude du métier. (cf Enquêtes Carrefour-Santé/UNSA depuis 15 ans)

 

AIDE AUX PROFS est souvent contactée par des professeurs qui s'aperçoivent qu'après 50 ans, aucun employeur ne veut d'eux/d'elles, et qu'il devient trop tard pour changer de voie. Alors que le Gouvernement d'Elisabeth BORNE promet un meilleur emploi des seniors, ce n'est que mirage, balivernes, car les administrations en-dehors du métier de professeur ne recrutent pas par concours au-delà de 55 ans en milieu administratif, et les employeurs privés, en-dehors des cadres occupant de grandes responsabilités et ayant de fortes compétences intéressant les "chasseurs de têtes", étaient il y a peu poussés vers la porte dès leurs 50-55 ans.

 

Il n'est pas anodin que beaucoup de cadres débarqués de leur entreprise passé leurs 50 ans, préfèrent créer leur activité libérale ou leur entreprise pour retrouver aussitôt une activité professionnelle, en optimisant alors leurs compétences. Les professeurs qui postulent en détachement vers les ministères, les collectivités territoriales, n'ont actuellement aucune chance d'être recrutés après 50 ans. Ils coûtent trop cher, les DRH leur préfèrent des étudiants, des jeunes, payés au 1er échelon, sur des contrats précaires avec mise au chômage en Juillet-Août. Là voilà, la réalité du terrain, ce ne sont pas les mensonges dont nous abreuvent certains médias proches du pouvoir actuel, qui est en train de renforcer la puissance des 0,1% de milliardaires et millionnaires de la France, au détriment des 99,9% qui ne le sont pas. Le Gouvernement actuel, par sa politique de moindre imposition des grandes fortunes, est en train de revenir à la constitution de cette société d'Ancien Régime avec 90% de personnes gagnant aux alentours du salaire moyen et parfois beaucoup moins, et 1% de privilégiés qui possèdent fortune, pouvoir, et sont décorés de multiples médailles récompensant leurs mérites obtenus par les centaines de milliers de personnes qu'ils ont fait travailler.

 

C'est comme si la France revenait en arrière, peu à peu, vers ce pouvoir royal constitutionnel, comme si un gouvernant était nostalgique du système d'avant 1792, il l'avait souligné lui-même et relayé dans les médias en 2016 lorsqu'il était Ministre du Budget.

 

Les professeurs malgré leur Master2 ne sont pas payés à la hauteur de leurs mérites, leur situation n'a fait que se dégrader depuis 30 ans, avec des ministres de l'Education nationale qui ont toujours privilégié les augmentations de primes des hauts fonctionnaires facilitant leur tâche de pilotage et d'administration, considérant qu'il valait mieux augmenter quelques dizaines de milliers de fonctionnaires, que 850.000 à 867.000 actuellement.

 

Alors il devient difficile de continuer de répéter que professeur est "le métier le plus beau du monde", quand il est si mal payé, si mal considéré, si mal traité, par les politiques de tous bords, puisque Gauche et Droite et LREM sont responsables de cette dégradation.

 

Au-delà de 6 à 10 ans d’enseignement, la routine gagne, si l’enseignant enseigne toujours aux mêmes niveaux de classe, dans le même établissement.

 

Le système des mutations actuel est tellement grippé, qu’il serait difficile d’obliger les enseignants à réaliser une mobilité tous les 6 à 10 ans. Les personnels d’encadrement (IEN, IA-IPR et chefs d’établissement) ont ce type d’obligation, ce qui leur permet de ne pas se lasser de leur métier, de ne pas ressentir cette routine, de changer de quotidien régulièrement. Anciens enseignants, ils réalisent là leur seconde carrière. 

 

Le sentiment d’avoir fait le tour de son métier pour l’enseignant engendre lassitude, désillusions, amertume, découragement, démotivation, déprimes…

 

Au fil de l’âge, la voix n’est plus aussi efficace. L’énergie est moins importante, l’enseignant devient moins patient, plus aisément fatigable.

 

Lisons ces témoignages de professeurs qui nous sont parvenus:

 

Sylviane, 31 ans, certifiée d’italien depuis 8 ans à plein temps, a le sentiment de régresser au niveau intellectuel :

 

« Même si mes rapports avec mes collègues et mes élèves sont bons, il ne m’arrive que très rarement de partir au lycée sans ressentir une terrible « boule au ventre ». En effet, j’ai très rapidement été démotivée vis-à-vis de mon métier qui ne m’a jamais apporté de satisfactions, hormis les échanges que je pouvais avoir avec les adolescents et les autres enseignants. Je n’ai pas une grande estime pour ce que je fais, et moins mon travail me demande d’efforts moins j’ai envie d’en fournir. Aujourd’hui, j’éprouve un manque d’intérêt extrêmement angoissant et culpabilisant. 

 

Les enseignants doivent avoir « la vocation » ; ce n’est malheureusement pas mon cas. Cette année, après huit ans de carrière, je suis encore TZR affectée sur deux lycées professionnels (c’est la première fois que j’enseigne en LEP) et un collège. Il paraît que j’aurais pu refuser les postes en lycée professionnel… mais où m’aurait-on affectée alors ? Sur trois collèges dans des quartiers difficiles ??? Aujourd’hui je suis consciente qu’il s’agit de l’un des rares métiers où l’on n’évolue pas mais où l’on régresse, et pas seulement au niveau intellectuel. Une autre enseignante d’italien que je connais, âgée de 56 ans, se retrouve cette année en lycée professionnel suite à une perte d’heures considérable sur son poste… en pleine ligne droite avant la retraite. Est-ce donc cela la sécurité de l’emploi ? »

 

Nolwenn, 34 ans, professeure des écoles depuis 12 ans, déplore le manque de reconnaissance de son métier : 

 

« Mes motivations à quitter l'enseignement sont variées : 

1) Je me rends compte qu'en vieillissant, je n'aurai plus du tout l'énergie requise pour tenir une classe. Déjà à 34 ans, il suffit d'être un peu patraque et fatiguée devant ses élèves pour se laisser déborder, alors avec l'âge et la fatigue des années je pressens que faire la classe va devenir une véritable corvée. Je préfère prendre les devants et me reconvertir avant d'en arriver là.

 

2) Je trouve que les enseignants manquent de reconnaissance pour leur travail et leur investissement. Je voudrai faire un travail plus gratifiant.

 

 

3) J'ai envie de voir autre chose. Je n'ai bien sûr pas fait le tour de tous les aspects de mon métier (je n'ai pas eu toutes les classes par exemple), mais je ressens le besoin de m'enrichir avec d'autres expériences, qui seraient plus valorisantes. Le monde des enseignants est assez fermé et étouffant : je veux changer d'air ! Je ne rencontre pas de réelle difficulté dans mon métier actuel, sauf une grande lassitude. »

 

Cleide, 35 ans, professeur d’anglais, enseigne à plein temps depuis 11 ans :

 

« Cela fait maintenant 11 ans que je travaille en région parisienne, en lycée. J'aime ça même si ma relation à mon travail est assez ambigüe. C'est un peu l'amour vache, j'ai des hauts et des bas. Je travaille énormément, avant tout parce que j'aime ça et aussi car j'ai réellement le désir de faire progresser mes élèves (qui me le rendent bien généralement). Mais ce métier prend trop de place dans ma vie privée, en effet il est impossible de faire la part des choses: quand est-ce que je suis au travail, quand est-ce que je n'y suis pas. De plus, le sentiment d'impuissance prime dans cette corporation. Les réformes s'enchaînent et l'anglais voit son nombre d'heures de cours réduire comme une peau de chagrin (2h, 3 h max en seconde d'où une multiplication de classes délicate à gérer : j'ai presque 200 élèves cette année !). Ajoutez à cela des différends avec un ou deux collègues qui ne veulent pas s'impliquer, qui comptent leurs efforts et vous reprochent les vôtres, malaise garanti ! Je suis curieuse, volontaire. Je suis partante pour de nombreux projets au lycée, j'ai le sens de l'organisation, du dialogue (je crois). Je pense donc pouvoir être capable d'exercer diverses tâches en dehors de mon métier d'enseignante. Mais où ? Comment ? Je ne rêve pas de gestion de personnel sinon j'aurais envisagé le concours de direction. A part cet aspect, je peux m'intéresser à de nombreux domaines. Je parle l'anglais mais je ne tiens pas forcément à trouver un travail en rapport avec l'anglais. Je suis néanmoins consciente que cela peut représenter un atout. Je ne tiens pas non plus à quitter la fonction publique, je n'ai pas ce cran, la sécurité de l'emploi étant une chance de nos jours. Mais quitter l'éducation nationale ne me dérange pas du tout. J'aime me sentir utile, aider les autres, me sentir efficace. Je pense pouvoir dire que je suis fiable et sérieuse. J'ai deux petits enfants, je ne peux donc pas accepter tout et n'importe quoi comme reconversion, cela réduit certainement mon champ des possibles, mais je suis prête à revoir mon nombre de jours de vacances et pourquoi pas mon salaire (pas trop quand même!) si je suis sûre de changer. »

 

Jacques, 35 ans, agrégé de Lettres Modernes depuis 10 ans à plein temps, veut « changer d’air » :

 

« Je souhaite quitter l'Education nationale. Je cherche réellement un autre métier car je ne supporte plus les critiques faites à l'endroit de mon métier, je ne veux plus travailler en vain le week-end pour préparer des cours perçus comme inutiles par mes élèves, je veux changer d'air ! Et je veux des solutions rapides à mettre en oeuvre car je n'en peux plus. »

 

Charlotte, 37 ans, professeur des écoles depuis 13 ans, en disponibilité, se sent piégée par le système :

 

« Dans l'Education Nationale depuis 13 ans, mon parcours professionnel se résume à des périodes d'activités (à temps partiel depuis la naissance de mes enfants mais en réalité surtout pour tenir bon dans ma classe), à des périodes de congés longue maladie (anxio-dépression). Pour moi cette "carrière" est un échec.

J'ai eu droit car j'étais en CLM à un bilan de compétences (pas concluant, on m'a dirigé vers la préparation du Capes documentaliste, comme beaucoup d’enseignants par ailleurs), à un poste de réadaptation, et le référent en orientation pour les enseignants m'a gentiment invité à passer d'autres concours, à consulter la bourse interministérielle de l'emploi public. Mes 13 années sont catastrophiques.

Depuis 2008 le corps enseignant souffre, je ressens de plus en plus d'agressivité, notamment dans les équipes pédagogiques, "diviser pour mieux régner" semble être le mot d'ordre. Je ne parlerai pas des conséquences sur les élèves et le lien avec les familles...

J'ai obtenu cette année une disponibilité pour élever mes enfants qui ont moins de 8 ans, afin de fuir ce milieu devenu anxiogène. Or je suis coincée car normalement je n'ai pas le droit de travailler. J'ai regardé les droits à la formation. Conclusion : nous sommes piégés !!!

 

J'ai tellement d'amertume, de colère !!!! »

 

Arnaud, 37 ans, certifié d’anglais depuis 15 ans, appréhende de poursuivre cette carrière linéaire d’enseignant jusqu’à sa retraite :

 

« Mes rapports d'inspection sont positifs et j'entretiens de bonnes relations avec mes classes. Cependant les conditions de travail ont beaucoup changé : les élèves n'ont en grande majorité absolument plus aucune motivation ; les problèmes de comportements sont de plus en plus fréquents et les enseignants sont de moins en moins soutenus par la hiérarchie. Face à ces problèmes, qui sont de plus en plus lourds à gérer au quotidien, et comme beaucoup de collègues de ma génération, je n'arrive plus à m'imaginer exerçant ce métier jusqu'à la retraite. »

 

Valérie, 40 ans, est professeur des écoles depuis 15 ans à temps partiel, et a le sentiment de n’être jamais sortie de l’école de sa vie :

 

« Après 15 ans d'exercice je m'interroge sur l'avenir de notre profession. J'enseigne en maternelle et je trouve les journées face aux enfants de plus en plus "fatigantes" et monotones. J'ai aussi enseigné en primaire mais le changement de niveau m'a seulement remotivée pour une année ... Certaines années sont mieux que d'autres en fonction des élèves, de leur nombre, des relations avec les parents, etc. Je crois que j'aimerai un travail un peu plus attrayant par sa diversité d'action, et plus en relation avec des adultes. Mais voilà je ne suis finalement jamais sortie du système éducatif et je possède donc une très faible connaissance du milieu professionnel ! »

 

Pierre, 41 ans, enseigne l’espagnol à plein temps depuis 14 ans et évoque un « effet de lassitude » :

 

« Un effet de lassitude s'est installé ces derniers temps, l'impression d'être somme toute assez inutile car enseigner l'espagnol en langue vivante 2 n'est ni considéré par les élèves ni par la direction du lycée. De plus, je suis un professeur exigeant quant au travail des élèves, on me fait comprendre que je suis trop sévère dans la notation. C'est tout un ensemble de choses, en fait, qui me laisse aujourd'hui un arrière-goût amer. Aussi, s'il me reste encore une vingtaine d'années d'activité, je souhaite trouver un domaine où je puisse utiliser mes langues (anglais-espagnol) car je suis titulaire d'une maîtrise LEA au départ. Une autre voie doit être possible, plus enrichissante que celle de professeur d'espagnol assez méprisé. »

 

Eléonore, 41 ans, professeur des écoles depuis 12 ans, en a ras-le-bol et se sent perdue :

 

« Après avoir enseigné trois ans en ZEP, j'ai pris quatre ans de disponibilité. J'ai repris un poste dans l'éducation nationale depuis cinq ans. Mais je ne supporte plus le métier pour diverses raisons : élèves durs, parents difficiles, hiérarchie qui ne nous aide pas, programmes lourds, paperasses inutiles et pourtant obligatoires, des heures et des heures de travail pour des élèves qui ne veulent pas travailler... bref un ras le bol évident : j'en peux plus. Je veux changer de travail mais je ne sais rien faire d'autre...je suis perdue et j'ai besoin d'aide. »

 

 

 

Claire, 43 ans, enseigne la Physique-Chimie en lycée depuis 19 ans, et s’estime de moins en moins patiente au fil des ans :

 

« J’ai presque 20 ans de carrière, mais depuis quelques années je ressens un grand décalage avec les jeunes générations, qui s'accentue; mon métier me parait de + en + ingrat en comparaison de l'investissement personnel fourni.

 

Ras le bol des classes à 40 élèves, impossible de travailler correctement et de motiver les troupes, ras le bol des classes de niveau, j'ai l'impression d'être sans cesse en train de préparer des cours pour m'adapter à mon public, j'ai envie d'une seconde carrière ou je peux laisser mon boulot à la porte de la maison le soir. J'aime toujours préparer mes cours et essayer de transmettre mes connaissances mais je suis de moins en moins patiente ! Bref depuis 2 voire 3 ans l'idée d'un nouveau travail occupe mes pensées.

Je suis également prête à me passer des vacances scolaires si au final je peux passer mes WE avec mes enfants et à autre chose que de corriger des copies ou préparer mes cours ! »

 

Hubert, 45 ans, professeur de Mathématiques certifié depuis 20 ans, se sent de plus en plus sclérosé :

 

« Les principaux avantages sont la souplesse de l'emploi du temps adapté à ma vie de famille avec de jeunes enfants (3, 7 et 10 ans), la sécurité de l'emploi (un seul salaire pour le moment), la liberté dans le travail. Ce qui me pousse cependant à être tenté par le risque d'une nouvelle carrière est le sentiment de sclérose dans l'enseignement, le manque de l'intérêt de mes élèves, les effectifs lourds et une Education Nationale sans projet, sans respect non plus pour son personnel. »

 

Amandine, 48 ans, PLP Lettres-Anglais depuis 19 ans en lycée professionnel, se sent submergée par l’accumulation de facteurs de contrariétés :

 

« La dégradation du niveau des élèves et la trop grande hétérogénéité des classes, couplé au manque de régularité du travail des élèves (+ qu'avant), le taux d’absentéisme font qu'on se retrouve dans l'impossibilité de dispenser un enseignement suivi, de qualité et cohérent et ceux qui veulent et peuvent suivre se retrouvent noyés dans la masse qui ralentit la classe par son manque de travail et par son indiscipline .En tant qu'enseignant, on se sent devenir inutile et impuissant, on se décourage et on a de la compassion pour ces élèves, sans pouvoir faire grand chose pour eux.

 

L'incapacité de l'administration à gérer les élèves perturbateurs même si nous arrivons à en réorienter certains. Le manque d'écoute et de respect. Difficultés à m'adapter aux nouvelles technologies pas tant par manque de pratique mais j'ai dû me battre au quotidien pour obtenir du matériel et le faire installer, alors que les nouveaux programmes de Bac Pro 3 ans prônent leur utilisation; les méandres de l'administration sont désespérantes, Je ne raconterai pas les détails, l'espèce de « fatalisme » qui gagne tout le monde aussi bien les enseignants , l'administration et forcément les élèves. Un sentiment grandissant d'inutilité, de dépense d'énergie pour rien, alors que cette énergie pourrait être mieux utilisée. 

Je suis évidemment prête à avoir moins de vacances et travailler plus et aussi gagner plus mais qu'au moins la frontière travail – maison soit plus marquée. La répétitivité de la tâche et le manque flagrant de diversification de notre travail, je ne comprends pas que l'EN ne donne pas plus la possibilité de faire du tutorat aux professeurs seniors. Et il faut le dire le « corporatisme » de certains collègues ! Comme si le boulot de prof était à vie et le seul boulot possible.

ET AUSSI, je supporte de moins en moins d'être perpétuellement exposée à un public, ça ne me convient plus et c'est peut-être la motivation principale. »

 

René, 48 ans, instituteur depuis 26 ans, a aimé son métier, mais y ressent au fil des ans un sentiment d’usure :

 

« Les premières années de mon métier d’instituteur m’ont apporté beaucoup de satisfactions, au contact des différentes classes où j’ai enseigné. Cependant, au fil du temps, et à la suite d’expériences difficiles dans des classes où je n’ai pas réussi à résoudre mes problèmes d’autorité, ni à me motiver suffisamment pour enseigner de manière efficace, j’ai peu à peu abandonné l’espoir de m’épanouir en tant qu’enseignant.

En tant que remplaçant, j’échappais à la gestion d’une classe à l’année, à la tension nerveuse et à la charge croissante de travail que cela implique. 

Au fil des années, j’ai perdu la motivation nécessaire pour être enseignant. Je suis arrivé à la conclusion que je ne suis plus fait pour ce métier, j’ai un sentiment d’usure et je suis décidé à changer. »

 

 

 

Benjamin, 51 ans, agrégé de Physique, enseigne à plein temps depuis 22 ans, a choisi d’enseigner par vocation, mais le système peu valorisant l’incite à changer de voie :

 

« J'ai choisi ce métier pour enseigner, transmettre des savoirs et des valeurs. Je ne me reconnais plus dans l'orientation prise depuis quelques années, la dérive marchande de nos institutions, la mise en avant d'un pédagogisme qui n'a plus rien à voir avec la pédagogie. Je suis fatigué des classes surchargées, de la surcharge artificielle de travail, du manque de reconnaissance, d'un environnement administratif de plus en plus incompétent et inhumain..... ».

 

Un besoin de renouveau se fait sentir, surtout parmi les professeurs des écoles qui enseignent de nombreuses matières et dans les disciplines très exigeantes du 2nd degré comme les Lettres (préparations de cours et corrections de copies dévoreuses de temps, ces enseignants, en majorité des femmes, se mettent souvent à temps partiel), l’Histoire-Géographie. La pénibilité physique est aussi très présente en Education Physique et Sportive (EPS) et les Professeurs des Ecoles, puisque dès l’âge de 35 ans près de 50% rencontrent des problèmes musculosquelettiques, et plus de 65% après 50 ans.

 

Les professeurs des écoles sont très touchés par ces problèmes à force de se pencher « vers les petites tables, les petites chaises, les petits élèves ». 

 

L’allongement des carrières pénalise fortement ces enseignants, qui n’ont que 2 choix :

 

 

- « tenir » jusqu’au bout, en mobilisant chaque année les trois mois de congé de maladie ordinaire qui ne les pénalisent pas financièrement ;

 

 

  

- Partir avant l’heure en retraite, en sacrifiant le taux de leur revenu de remplacement, puisque ce sont les cinq dernières années qui comptent le plus (5% chacune). Avec le projet d’allonger la carrière à 43 ans en 2023, les enseignants risquent d’être acculés à des situations de précarité sans précédent, au-delà de 60 ans, alors que bon nombre de fonctionnaires bénéficient de régimes particuliers qui leur permettent de partir dès 55 ans.

 

En 2012, 0.9% seulement des enseignants du 1er degré et 4.8% des enseignants du 2nd degré en activité avaient plus de 60 ans.

 

Il n’était pas prévu de nouvelle réforme avant 2018 quand le Gouvernement FILLON avait réalisé la réforme de 2010. La raison provient de l’arrivée de classes d’âge très fournies à l’âge de 60 ans dans les dix prochaines années dans la Fonction Publique.

 

Dans l’Education Nationale, voilà en 2012 les constats alarmants des chiffres du 1er degré  et du 2nd degré , en proportion de l’effectif global des enseignants du public :

 

Comment imaginer, à une époque où le métier est déjà pénible en fin de carrière, que 100% des professeurs enseigneront jusqu'à 64 ans, alors que 0,9% des PE du 1er degré et 4,82% seulement des professeurs de collège et de lycée étaient encore en poste après 60 ans il y a 10 ans ?

 

Le gouvernement, en tentant de faire voter une loi dont ne veulent pas les citoyens, essaie juste de faire coïncider l'espérance de vie à la naissance de la génération 1960-1970 (66 à 68 ans pour les hommes, 74 à 76 ans pour les femmes), avec l'âge de départ en retraite, juste pour que ces générations passent le moins de temps possible en retraite, et meurent sans trop profiter comme leurs aînés du bénéfice de leur pension.

 

C'est un calcul cynique.

 

 

 

Alors qu’en 2012 à peine 6% de tous les enseignants poursuivaient leur activité devant élèves, la réforme des retraites de 2023 s’abattra telle la foudre, puisqu’en instituant des carrières de 43 ans à 44 ans voire 47 ans (en 2028 très certainement, avec un Edouard PHILIPPE qui rêve comme Emmanuel MACRON d'une élection facile à la Présidence de la République par le vote "utile", "contre" le RN), alors que l’entrée dans le métier avec un Master s’effectue vers 24 à 27 ans (en cas d’échecs successifs au concours), la majorité des enseignants devra prolonger son activité devant élèves jusqu’à 67 à 71 ans pour espérer un revenu de remplacement de 70 à 75% de son dernier salaire brut (hors primes, très faibles pour les enseignants), soit près de 10 ans d’activité de plus que leurs aînés.

 

Cette réforme prépare une paupérisation de près d’un million de cadres A de la Fonction Publique: les professeurs.

 

Les dirigeants politiques actuels évoquent « l’esprit de justice et d’équilibre », en minimisant les conséquences économiques et sociales pour les individus.

 

Cette énième réforme est-elle une manière déguisée d’annoncer la fin des retraites pour la génération qui entre actuellement sur le marché du travail ?

 

 

Le pouvoir d’achat de l’enseignant commence à stagner entre 50 et 55 ans, l’accès à la hors classe étant attribué au compte-gouttes:

 

Il est fréquent de stagner 3 à 10 ans au sommet de la classe normale, avec un pouvoir d'achat qui stagne, donc.

 

Il restera donc pour la majorité des professeurs, et notamment ceux entrés dans le métier après leurs 45 ans, qui ne pourront jamais accéder à la hors-classe puisqu'il faut 24 à 26 ans pour réaliser les 11 échelons de classe normale, 10 à 12 ans d’enseignement, sans surprise, sans augmentation de salaire, et c’est donc à une dévalorisation progressive auquel l’enseignant assiste, impuissant, en ressentant, pour ceux qui ne l’ont pas vécu plus précocement, un ras-le-bol pour son métier.

 

Comment, dans un tel système, les ministres peuvent-ils remotiver les enseignants en fin de carrière ? Combien d’élèves seront les victimes du manque d’entrain au travail de ces dizaines de milliers d’enseignants désabusés et usés en fin de carrière ?

 

Cette problématique intéresse toute notre société.

 

Et le problème le plus grave posé dans l'Education nationale, dont personne ne parle actuellement, comme si les médias étaient sourds et aveugles sur le sujet, est la pénibilité des fins de carrières, la santé des professeurs, dans un ministère qui n'a jamais réussi à recruter ou voulu recruter un nombre suffisant de médecins du travail, puisqu'il en reste 62 seulement depuis fin 2022 pour 867.000 professeurs.

 

Une misère !

 

LA REVALORISATION HISTORIQUE DE SEPTEMBRE 2023

 

L'ABSENCE DE FLEXIBILITE DANS LE METIER DE PROFESSEUR EN FRANCE

 

PROFESSEUR, UN METIER EXPOSE AUX VIOLENCES DE LA SOCIETE, DONC PENIBLE

 

 

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