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Julie, de Professeur des Ecoles au Français Langue Etrangère en Entreprise


Julie : de Professeur des Ecoles au FLE à son compte

 

Interview de Rémi BOYER pour Aide aux Profs

 

Courant juin 2015, AIDE AUX PROFS avait attiré l’attention du Ministre de l’Education Nationale Najat VALLAUD-BELKACEM sur la situation de Julie, professeur des écoles en disponibilité depuis deux ans, car elle se voyait refuser une prolongation d’une année, alors qu’il s’agissait pour elle de continuer d’enseigner le Français Langue Etrangère à l’étranger. Enseignante depuis 13 ans, recrutée en très bon rang en 2002, elle s’est investie avec passion dans son métier. La manière dont l’Education Nationale remercie les enseignants de leur investissement passé au service des élèves fait tout simplement froid dans le dos !

 

La réponse du Directeur du Cabinet du Ministre le 1er Juillet 2015, Monsieur Bertrand GAUME, fut plus que décevante, puisqu’elle a consisté à nous écrire qu’il transmettait le courrier à la rectrice de l’académie concernée « afin qu’elle apporte un soin tout particulier à l’étude de la situation exposée et qu’elle vous tienne directement informé de la suite qui pourra être réservée à votre démarche ».

 

Non seulement AIDE AUX PROFS n’a eu aucun courrier de cette rectrice sur notre requête, pour qu’une Gestion des Ressources Humaines telle que nous la concevons, humaine et empathique, puisse s’appliquer, mais au lieu de la prolongation de la disponibilité attendue, nous avions appris avec effroi la démission de cette enseignante très investie, qui avait aimé son métier.

 

Alors que notre pays manque d’enseignants, l’administration s’ingénie à les pousser à la démission, au lieu de trouver une solution de conciliation plus respectueuse de l’investissement passé de l’enseignant.

 

Même si le nombre demeure négligeable à l’échelle de la masse enseignante, il ne laisse pas d’inquiéter, car il augmente chaque année. Si les étudiants qui se préparent à ce métier se rendent compte qu’il se refermera sur eux comme un piège s’ils deviennent titulaires par concours, avec pour seule issue la démission ou l’abandon de poste (de plus en plus de jeunes enseignants nous confient avoir choisi cette solution, car leur démission leur avait été refusée), on se demande ce que deviendra le métier d’enseignant lorsque la France aura retrouvé le plein emploi ?

 

A la fin de vos études, qu'est-ce qui vous avait donné envie d'enseigner ? 

 

« L'amour du transfert de compétences, la joie de contribuer à la construction des êtres, le bonheur du contact pur et simple avec les enfants. »

 

Ce métier a-t-il correspondu à vos attentes ?

 

« Oui, pendant des années ce métier m'a apporté beaucoup, j'ai appris beaucoup sur moi même, sur l'être humain en général, ses bons et moins bons côtés, c'est un métier "humain" avant tout selon moi, la psychologie y a une vraie place, c'est très intéressant de ce point de vue.

 

J'ai aussi compris beaucoup sur notre gouvernement, sur ses intentions sur l'école publique, sur le business engendré par les "nouveaux programmes" tous les 3-4 ans, sur le fait que personne là-haut ne s'intéresse réellement à l'éducation ni au bien être des enfants, à leur développement personnel, sur la lourdeur de la machine Education Nationale et son inadaptation au monde actuel.

 

J'ai aussi découvert combien ce métier était vampirisant d'un point de vue investissement personnel en termes d'énergie et de temps... Il s'agit de savoir se fixer des limites, surtout pour les perfectionnistes investis dont je fais partie, que je le veuille ou non...

 

Pour finir, j'ai été fortement dégoûtée de voir qu'un bon enseignant et un enseignant nocif voire dangereux seront traités de la même manière, au final. Etre bon ou mauvais n'a que peu d'importance aux yeux de nos inspecteurs, il s'agit de ne pas faire de vagues, voilà tout. 

 

Voire même on va protéger celui qui est dangereux en le gardant, tout en baladant le "problème" d'école en école, alors que le bon enseignant qui n'aura pas le cahier journal comme il est souhaité ou je ne sais quel détail, on lui dira, à lui, que c'est tout de même pas normal...

 

Ce n'est pas le métier qui m'a déçu, mais l'e fonctionnement de l'Education Nationale ».

 

Avez-vous réalisé des projets avec vos élèves ? Quelles compétences avez-vous développées à ces occasions ?

 

« Un grand nombre, oui, je crois fermement en la pédagogie de projet. Ils donnent un sens aux apprentissages, ceux-ci étant utilisés dans la vie réelle, pour un but réel. On n'apprend pas le passé composé pour avoir une bonne note, mais pour raconter ce qu'on a fait, on ne développe pas son vocabulaire pour remplir des cases en face de définitions, mais pour donner une autre dimension à un texte, on n'apprend pas les mathématiques pour résoudre un "problème", mais pour résoudre une vraie situation.

 

Les projets développent des compétences indispensables dans la vie comme la créativité, l'adaptabilité, la gestion des émotions, l'esprit d'équipe, l'ouverture d'esprit...

 

J'ai mené des projets scientifiques sur le développement durable et l'eau dans ma région, aiguisant leur regard sur l'écologie et la nature de façon concrète, des projets culturels et musicaux qui montrent des façons de vivre différentes et développent la curiosité respectueuse de l'Autre, des projets sportifs en lien avec la sécurité routière et le respect de soi comme celui des autres, des projets littéraires qui ont fait leurs preuves et qui démontrent que la lecture et l'écriture sont loin d'être ennuyeuses mais si riches en tous points... »

 

Pourquoi avoir choisi de partir d'abord en disponibilité pour enseigner à l'étranger ? En quoi cette expérience fut-elle enrichissante ?

 

« Ce n'était qu'un demi-choix car j'avais demandé des congés formation les années précédentes, jamais obtenus. 

 

J'ai donc suivi et mené à bien mon Master 1 de Français Langue Etrangère tout en étant en activité... Dur, dur, des sacrifices, mais réussi ! Je voulais développer mes compétences et me diriger vers d'autres formes d'enseignements, en collège peut - être ou bien à l'étranger, diversifier un peu mon quotidien.

 

Je suis ensuite partie en disponibilité un an pour développer mon anglais et ouvrir mes "œillères d'instit", sortir de mes sentiers battus. Il s'agissait donc de ne pas enseigner cette année là, en Australie. J'ai fait différents jobs (de vendeuse de pralines au marché à serveuse en passant par maints autres !). Année merveilleusement enrichissante et épanouissante à différents niveaux. Qu'il est bon de se jeter à l'eau !

 

Ensuite, j'ai fini mon Master de Français Langue Etrangère en enseignant en Alliance Française, en Tanzanie, pendant 6 mois de stage. Absolument génialissime encore une fois, d'un point de vue personnel et ouverture sur le Monde, comme au niveau professionnel. J'y ai mené un projet d'envergure sur l'enseignement e-learning proposé là bas (en lien avec mon Master), et ai expérimenté d'autres façons d'enseigner, dans des structures non scolaires : très intéressant ! »

 

Vous auriez aimé prolonger votre disponibilité au lieu de démissionner : que s’est-il passé ?

 

« Après 2 ans de disponibilité, je demande en janvier un renouvellement (j'ai droit à 10 ans d’après les textes), mais voilà que je reçois un courrier en avril m'indiquant l’impossibilité d'accéder à ma requête, motif : "obligation de services". 

 

Je fais donc un recours gracieux : je tente, par un courrier qui explique qu'après avoir juste terminé mon Master financé entièrement moi même, je ne peux accepter de revenir au même point alors que j'ai sacrifié beaucoup pour prendre cette route (j’ai vendu mon appartement pour payer mes études notamment !). Et cette route n'en est qu'à ses premiers pas ! J'indique donc que je souhaite revenir, mais dans quelques années. Je précise que je serai mieux formée que la plupart, et que cela ne leur aura rien coûté en termes de financement.

 

Retour du courrier ? On manque d'instits, faut revenir !

 

J'entends, par des membres de la DASEN : "Mais revenez et mettez-vous en arrêt maladie, Madame !" Haha, ils sont énormes, tout de même, certains d'entre eux, dans ces couloirs !!! Je refuse catégoriquement d'entrer dans ce genre de jeu.

 

Alors... cela ne m'a pas laissé d'autre choix que de démissionner !

 

J'envoie donc mon courrier de démission, après avoir attendu un mois et demi l'estimation de mon IDV (Indemnité de Départ Volontaire), en cas de démission pour création d'entreprise.

 

Je demande ensuite à voir la DASEN en personne, estimant avoir droit à 10 min avec elle contre 10 ans de loyaux (et complimentés) services, étant donnée la situation. On me rétorque : "ça ne s'appelle pas un rendez-vous, madame, mais une audience !" Soit ! Que diable ! Je souhaite une audience !

 

Je n'ai malheureusement eu un tel privilège... On n'approche pas pareille fonction si aisément, faut croire !

 

Son adjoint m'a reçu, lui, m'écoutant gentiment et expliquant qu'il n'avait absolument aucun pouvoir de décision, ni de mise en place de quoi que ce soit pour gérer les enseignants qui sortent des rangs, n'étant "qu'adjoint"... J'ai ri. Ca m'a fait du bien.

 

Bref, j'ai déversé mes rancoeurs, souhaitant que mon cas ne se reproduise pas, mais il me semble que cela restera sans suite !

 

Ensuite, ha oui ! Comble ! Deux mois après avoir envoyé mon courrier de démission, je n'ai eu AUCUN papier officiel la confirmant. Juste, certains membres du personnel de la gestion des enseignants (HAHAAA !!!) qui m'assurent que "c'est bon" oralement, ou qui ne répondent pas à mes emails de relance ("mais dites, il y a deux mois, vous m'avez assuré que l'arrêté était en cours de signature par la DASEN et je n'ai toujours rien"... : s'est-il perdu ??? N'a-t-il pu obtenir son audience avec elle lui non plus ??? Rah lalaaa, que c'est bien organisé tout cela !)"

 

Aujourd'hui, êtes-vous heureuse d'avoir démissionné ? Quelle est votre activité ?

 

« Oh que oui, je me sens bien ! J'aime la liberté, le mouvement, le dynamisme : toutes ces choses qui ne collent pas avec "Education Nationale Française".

 

Alors bien sûr, ne plus avoir de filet de sécurité effraie un peu, parfois (surtout, ça effraie ma mère), mais cela rend aussi plus audacieux, plus créatif encore, et aide à la prise de décisions. 

 

Je suis aujourd'hui enseignante de Français Langue Etrangère (FLE) dans un centre de langue française à Hong Kong depuis un mois. C'est encore une nouvelle expérience, d'autres suivront. J'ai en parallèle une petite autoentreprise de FLE à distance, qui débute doucement (et là au moins, pas besoin de demander l’autorisation à qui que ce soit). 

 

Il s'agit d'avoir des idées et du cran. Et oui, je n'ai pas d'enfant à charge ! (Mais : ni de mari en soutien financier… !) »

 

Aux étudiants ou aux salariés en reconversion qui envisagent ce métier, que leur conseillez-vous ?

 

« De garder leurs distances avec ce métier s'ils ne veulent pas être dévorés tout crus !

 

De bien se renseigner sur la réalité des professeurs des écoles aujourd'hui, en allant parler avec des enseignants du primaire. 

 

De ne pas avoir trop d'attentes en termes d'argent. C'est à LIDL qu'on fait nos courses, pour info. Et chez nous les heures sup, ce n'est pas comme dans le secondaire ! (Un ami fraichement diplômé prof de physique-chimie, sa 1ère année, gagnait plus que moi au bout de 10 ans - et j'ai gravi les échelons plus vite que mon ombre, promis !)

 

Que s'ils veulent changer les choses, ils doivent avoir en tête qu'on gagne rarement à ce combat là à l'EN !

 

Par contre, que s'ils veulent un jour changer de métier à nouveau, il faut se lancer : c'est l'immobilisme qui tue ! Les tentatives, elles, rendent plus forts ! »

 

Vous avez eu recours à AIDE AUX PROFS pour vous conseiller. Qu’avez-vous pensé de cette aide à distance ?

 

« C'était rassurant d'être entendue, et entendue avec une grande qualité d'écoute et des idées de réponses à la clé, des exemples...

 

Des actions concrètes aussi, comme ce courrier au ministère ou une dénonciation de la situation lors d’une interview radiophonique pour un grand média, voilà qui m'a fait du bien !

 

Je remercie Rémi BOYER Président-Fondateur d’AIDE AUX PROFS avec une grande sincérité et amitié, pour son soutien et son engagement dans ma cause !

 

Les syndicats, je veux le préciser, n'ont pas daigné me soutenir, en aucun point ! (je ne suis pas syndiquée, si jamais vous vous posez la question). »

 


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